Le sens de la vie
Après une retraite de vingt ans, l’auteure indienne revient à la fiction et nous offre une magnifique fresque contemporaine. Un chant d’amour, de révolte et d’espoir.
On connaît surtout Arundhati Roy pour son succès mondial Le Dieu des Petits Riens, son premier roman, publié en 1997 à l’âge de 36 ans. Pourtant, l’écrivaine et militante indienne n’a depuis jamais cessé d’écrire : des essais sur le capitalisme, sur la guerre contre le terrorisme, sur la démocratie et sur la politique de son pays. Disons-le d’emblée, Le Ministère du bonheur suprême est un ravissement. Un livre rare et précieux qui nourrit l’esprit et touche droit au coeur.
Cela n’empêche pas l’intrigue de prendre des détours. Foisonnant, le roman forme une spirale qui emporte de nombreux personnages dont les liens nous sont révélés progressivement. Tout commence dans un cimetière du Vieux Delhi où Anjum a élu domicile. Un vieil imam lui demande : « Dis-moi, vous autres, quand vous mourez, où vous enterre-t-on ? Qui donne son bain à la dépouille ? Qui dit les prières ? » Anjum est une « hijra » , une femme dans un corps d’homme, tout à la fois respectée et rejetée en Inde. D’où la question de l’imam. Mais en refermant le livre, s’affirme le sentiment que le dignitaire musulman songeait en réalité à lui- même et à tous les personnages du roman, pareillement brisés et infatigables : au-delà des castes, de la couleur de peau, des croyances qui divisent et embrasent le pays, qui sommes-nous vraiment ? Aux côtés de qui voulons-nous courir et lutter ? Qui va nous reconnaître et nous aimer ? C’est ce que cherche Anjum. Elle a choisi de quitter le foyer de ses parents, des musulmans aisés, pour découvrir qui elle est. Elle s’est réfugiée dans une maison qui accueille toutes les âmes rejetées. Plusieurs fois, elle échappe à la mort. Les représailles de la police contre les Indiens aux moeurs légères, la rumeur qui transforme les hommes en meute féroce et toujours le nationalisme « safran » qui rêve d’une Inde cent pour cent hindoue et qui incite à la haine des musulmans. Roy capture ainsi toute la violence de son pays en quelques