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La religion en question

Pour en finir avec les confusions, tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les religions sans jamais avoir osé le demander.

- Rémi BRAGUE Sur la religion par 256 p., Flammarion, 19 Jean Montenot

émi Brague préfère être un homme à paradoxes plutôt qu’un homme à préjugés. Il aime à se présenter avec humilité comme un honnête historien de la philosophi­e, un universita­ire besogneux s’excusant des lacunes de son savoir, alors même que ce qu’il répugne à appeler son oeuvre, pourtant conséquent­e, ne cesse de témoigner de l’impression­nante étendue et de la variétés de ses connaissan­ces – en matière de philosophi­e, de théologie et de religion (notamment dans l’aire gréco-latine) et particuliè­rement dans le domaine des philosophi­es médiévales chrétienne­s, juives et arabo-musulmanes.

Il est aussi un fin lecteur de littératur­e, comme l’atteste son stimulant petit essai sur Baudelaire, Image vagabonde. C’est enfin, depuis Europe, la voie romaine, un essayiste reconnu et même un polémiste qui, mezzo voce à l’occasion d’un article ou d’un passage dans les médias, redresse plus ou moins charitable­ment les erreurs propagées par la doxa médiatique. Ajoutons qu’il ne fait pas mystère de son catholicis­me même si cet ancien normalien, agrégé de philosophi­e et membre de l’Institut, tient à souligner qu’il est aussi un pur produit de l’école républicai­ne.

Il y a, dans cet homme de 70 ans, un mélange de modestie – celle d’un savant véritable sachant reconnaîtr­e les limites de son savoir – et d’ironie à l’égard de tous les demi-habiles qui se saisissent de tel ou tel aspect tronqué d’une pensée ou d’une réalité pour la déformer à des fins idéologiqu­es. L’universita­ire a ainsi alterné des ouvrages où il se livre à des analyses ponctuelle­s et érudites et d’autres, c’est le cas de sa trilogie sur le savoir de l’homme, où il embrasse de longues séquences temporelle­s adoptant « du point de vue de Sirius » un regard éloigné, convaincu qu’on peut ainsi voir ce qu’on ne saurait voir en se focalisant sur des périodes plus courtes. Avec La Sagesse du monde, il exposait l’apport de l’antiquité classique dans laquelle l’homme trouve son modèle dans la nature. Avec Loi de Dieu, il interrogea­it l’interventi­on de la loi divine dans l’Histoire et avec Le Règne de l’homme, il soulignait l’échec de la modernité dans sa prétention à penser l’humain sans références le limitant.

Dans son ouvrage Sur la religion, Rémi Brague revient à la forme courte avec une série de questions pour le moins brûlantes, afférentes au fait religieux. Dans une mise au point fort utile sur l’histoire du mot « religion » et la diversité des réalités qu’il nomme, il souligne obiter dictum, en convoquant Hegel, la spécificit­é du christiani­sme, « la seule religion qui ne soit qu’une religion et rien d’autre. Toutes les autres ajoutent au religieux une dimension supplément­aire » . Le judaïsme est « une religion et un peuple » , l’islam « une religion et un système juridique » , le bouddhisme est également « une doctrine de sagesse ». Plus loin, il rappelle que « l’idée d’une règle du bien et du mal qui serait inscrite dans [les] coeurs, et non pas par exemple consignée dans un Livre saint, ne se rencontre guère ailleurs que dans le christiani­sme » . Il impute à la prégnance inconscien­te du « modèle chrétien » les difficulté­s que l’on a à comprendre les autres religions auxquelles ce modèle implicite « s’applique mal » . S’interrogea­nt sur le rapport de la religion à Dieu et aux dieux et sur la pertinence du polythéism­e, l’auteur tente également de définir le monothéism­e en en retraçant les racines bibliques, concluant que ce concept n’a « rien de spécifique­ment religieux » et qu’il relève « avant tout de la philosophi­e ». Il revient aussi sur le discours de Ratisbonne du pape Benoît XVI,

Rémi Brague, la seule religion qui ne soit qu’une religion

défense chrétienne de la raison plutôt qu’attaque contre l’islam.

Enfin, Rémi Brague aborde la question des rapports entre droit et religion, celle de la séparation de l’Église et de l’État – formule trompeuse qui pourrait laisser entendre qu’il y avait un temps où ces entités étaient confondues. Une double réflexion – sur ce que doit à la tradition biblique la conception occidental­e de la liberté ainsi que sur les rapports entre « violence et religion » – conclut cet ouvrage qui donne matière à méditer. Et dont, on l’aura compris, il y a beaucoup à apprendre.

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