Vers
Connaissez- vous la poésie syrienne ? Jetez- vous sur ce magnifique et imposant recueil rassemblant les plus beaux vers de près de trente poètes syriens de langue arabe, du début du xxe siècle à nos jours. Alors que le pays continue de s’enfoncer dans le chaos, il est plus que jamais urgent d’écouter la voix de ses poètes, restés trop souvent inaudibles. Traducteur, ancien critique littéraire à Beyrouth, Saleh Diah s’y emploie avec grâce. Il ouvre son anthologie avec les lumineuses sourates de Khayr ad-Din al-Asadi : « J’ai accepté mon isolement tel le compas qui tourne sur sa circonférence/mais le sort me fera à la fin centre du cercle/ la vie n’est que ruines, rien qu’une poignée de vent, alors relève tes pans là où tu vas. » Puis il poursuit avec l’univers limpide et musical de Badawi al-Jabal, l’un des derniers défenseurs d’une poésie classique : « De mon coeur j’ai effacé le monde, seules y sont restées intactes les visions de notre passion. »
Après lui s’ouvre la période moderniste, synonyme de libération de la forme et d’incursion de thèmes profanes. On chante toujours l’amour et on fait gronder la révolte, comme le poète Umar Qaddur : « Je n’ai jamais capitulé j’ai choisi les routes les plus sinueuses et les ai traversées aller-retour maintes fois parfois des ailes m’ont poussé et j’ai volé jusqu’à les briser n’eussent été quelques rêves je dirais : c’est moi qui ai tramé ce destin avec tout ce qu’il porte. » Avec le Kurde Luqman Dayrakyi, on pense même à Prévert. Il y a bien sûr le grand Adonis, plusieurs fois en lice pour le prix Nobel de littérature. Visionnaires, décapants, ses psaumes entêtants interrogent comme l’oracle : « Où prend fin la distance, où s’annihile la peur ? J’invoque le vide je vide le plein. Même le silex est mou, même le sable s’enracine dans l’eau. » Rappelant que l’expression poétique se tient à la source de la vie, ce voyage panoramique donne à voir le monde dans les ruines.