L’Europe mise à mâle
Quatrième roman d’un Britannique au destin transcontinental, ce livre, pan-européen, a paru outreManche au moment du Brexit. Une découverte saisissante.
Que serait l’Histoire sans l’ironie ? En 2016, 51,9 % des Britanniques choisissaient de quitter l’Union européenne. Cette même année, David Szalay était finaliste du Man Booker Prize pour son livre paru en Angleterre deux mois avant le Brexit. Ainsi, ce prestigieux prix littéraire, récompensant une fiction écrite en langue anglaise, comptait parmi ses nominés un ouvrage dont l’un des sujets majeurs était l’identité européenne. Son auteur, s’il avait longtemps vécu à Londres, s’était désormais installé sur le continent. À Budapest, afin de renouer avec ses origines. Ce qu’est l’homme est son premier roman traduit en France. Son nom, Szalay – qui se prononce « Sol-loy » –, raconte une identité, une histoire qui ne saurait donc être figée ni contenue.
Le roman débute un mois d’avril à Berlin, pour s’achever, lors des fêtes de Noël de la même année, dans la région de Bologne. Entre-temps, nous aurons traversé treize pays européens et neuf histoires. Neuf, c’est aussi le nombre des protagonistes, de six nationalités différentes (mais pas seulement européennes). Un tourbillon de récits et de lieux à l’image de l’élan avec lequel Szalay y plonge ses personnages – et ses lecteurs. Ils ont tous la bougeotte. Prenez Simon, jeune homme de 17 ans qui part de Berlin, traverse l’Europe de l’Est avec un camarade de classe, afin de voir du pays et d’apprendre à draguer en plusieurs langues. Ou Bernard, Lillois de 22 ans, qui plaque son job et se paye une semaine à Chypre avec l’argent de ses indemnités. Direction les joies et les pièges du tourisme low cost : l’hôtel Poséidon, sa piscine, et les filles autour. Iveta, surtout. Nous rencontrerons aussi un journaliste de tabloïds, un milliardaire, et trois Indiens qui, à Londres, découvrent l’arnaque de la prostitution. L’auteur a pris un malin plaisir à boucler son tour d’horizon avec un septuagénaire, ancien gouvernant pas peu fier d’avoir oeuvré pour l’élargissement de l’Union européenne en 2004. Tous décrits à un passage de leur existence, les personnages sont mis face à l’objet de leur quête : la virilité, le sexe, l’amour, la deuxième chance, le succès. Et surtout face au sens de la vie, dans une dimension peu mise en avant de nos jours : celle de l’universalité. Qu’est- ce que l’homme ? La question est donc posée à travers les différentes générations rencontrées. Les récits, telles des nouvelles, peuvent être abordés de façon autonome, mais, à bien y regarder, sont inévitablement liés… Dans Ce qu’est l’homme, il y a l’abscisse et l’ordonnée.
Né en 1974 à Montréal, David Szalay est issu d’une vieille famille juive hongroise qui émigra dans la province de Québec avant la Seconde Guerre mondiale. C’est là que son père épousa une Canadienne, mais c’est à Londres que David grandit. Après des études à Oxford, il poursuit sa vocation : écrire. Des « dramas » radiophoniques pour la BBC, en même temps qu’un premier roman, en 2008, London and the South-East, qu’il décrit ainsi : « une comédie noire sur un lieu de grande consommation, comme Londres » . Suivent The Innocent (2 009) et Spring (2 011 ; « une histoire d’amour… sans amour » ). En 2013, il figure sur la liste des meilleurs jeunes écrivains britanniques de la revue Granta. Fondateur de la belle collection « Terres d’Amérique », également à la tête des « Grandes Traductions » qui publient cet ouvrage, Francis Geffard a lu tous les précédents romans de Szalay. Il a cependant choisi de d’abord faire paraître Ce qu’est l’homme car « c’était le bon pour commencer, et faire découvrir l’énergie motrice de ce livre et de son auteur » . Quelque part entre Michel Houellebecq et Martin Amis, avec lequel il partage le réalisme et l’ironie, mais aussi du côté de Kundera pour le sens de la vie, David Szalay vient éveiller notre soif de lire. Tous les écrivains le clament : leur vrai pays, c’est leur langue.
Hubert Artus
David Szalay,
HHHHI