Niviaq Korneliussen
« Je doute que les revendications nationalistes permettent de résoudre les vrais problèmes »
«
Le mouvement indépendantiste est en train de prendre une ampleur sans précédent au Groenland. Je pense qu’il va bientôt remporter les élections, et cela m’inquiète beaucoup. Nous avons acquis notre autonomie en 1979. Le pays est très petit – à peine 60 000 habitants – et les choses vont trop vite. La jeune génération, de mieux en mieux éduquée, ne supporte plus d’être traitée avec condescendance par les Danois. Il est vrai qu’il y a encore beaucoup de racisme, d’un côté comme de l’autre. Pourtant, il serait selon moi prématuré – et dangereux – de devenir un État à part entière. Paradoxalement, nous pourrions y perdre notre souveraineté. Le Groenland dispose en effet de grandes richesses minières et pétrolières. Des puissances extérieures, comme la Chine, pourraient être tentées de venir piller nos ressources, d’acheter des terres et de détruire notre environnement. Je doute par ailleurs que les revendications nationalistes permettent de résoudre les vrais problèmes dont notre peuple continue à souffrir : l’alcoolisme, l’inceste, la violence sexuelle… Composé en majorité de personnes socialement privilégiées, le mouvement indépendantiste a tendance à minimiser ces enjeux sociétaux, très complexes. Sans doute est-il plus facile de tout mettre sur le dos des Danois, au point de refuser de parler leur langue et de lui préférer l’anglais. Les Groenlandais sont très fiers de leur culture. Ils prennent comme une provocation d’avoir à parler danois, par exemple chez le médecin. Mais si les Danois doivent partir, qui les remplacera ? Avec eux, au moins, nous savons à qui nous avons affaire. Et, malgré nos différences, malgré notre histoire conflictuelle, nous restons proches et partageons des cultures similaires. Pacifions nos relations, avant de penser à l’indépendance, et concentrons-nous sur des mesures qui contribueront à améliorer la vie des gens. »
Propos recueillis par Estelle Lenartowicz * Dernier livre paru : Homo sapienne (La Peuplade)