David FOENKINOS *
L’auteur de Charlotte a un amour immodéré pour Oblomov de Gontcharov – un roman à ses yeux sous-estimé –, en particulier pour son héros procrastinateur.
On ne peut pas dire que Gontcharov soit oublié, ou même peu lu, mais disons qu’il semble assez mal placé au panthéon des classiques russes. On cite plus aisément Dostoïevski ou Tolstoï. Et pourtant, son roman Oblomov1 est considéré, à juste titre, comme un chef-d’oeuvre. Preuve en est avec le nom du héros, devenu une sorte d’adjectif évoquant un paroxysme de la procrastination : quand “on fait son Oblomov”, c’est qu’on remet tout ce que l’on doit faire au lendemain, voire au surlendemain, voire à jamais ! Si j’avais fait mon Oblomov, vous n’auriez jamais pu lire cet article. Quel personnage ! Quel sens inouï de la léthargie ! Quel rapport divin à la paresse ! Il préfère même refuser l’amour de la douce Olga par goût pour son canapé ! C’est un magnifique contre- pied à l’imaginaire russe, habituellement perfusé à la folie et à l’héroïsme. Oblomov se laisse déborder par le chaos journalier, avec un calme fascinant. Au- delà de l’humour de certaines situations, j’ai toujours vu en ce roman un parfait éloge du détachement au monde, une façon de s’élever bien au-dessus des contingences matérielles. Arriver à ce tel niveau de détente relève de l’exploit. J’associe dans mon esprit ce personnage à celui du Baron perché d’Italo Calvino ou encore au Bartleby de Melville. Il y a comme une tradition de l’antihéros qui en devient un, justement, en ne faisant rien. “Je préfère ne pas faire” aurait pu être aussi la devise d’Oblomov. La seule chose à faire, finalement, c’est de lire ce livre. J’aime tellement ce personnage que, dans mes deux films, les deux héroïnes – Audrey Tautou, dans La Délicatesse et Karin Viard, dans Jalouse2 – lisent ce roman. C’est assez difficile à discerner, mais rien ne vaut la discrétion pour une déclaration. » 1. Disponible en Folio. 2. En DVD chez StudioCanal
* Dernier livre publié : Vers la beauté (Gallimard)