Que signifie vraiment « être postmoderne » ?
Comment ne pas penser, à la lecture du dernier essai de Michel Maffesoli, à la fameuse querelle des Anciens et des Modernes qui fit rage dans le monde littéraire du xvii e siècle. Entre « paranoïa » des uns et « épinoïa » des autres, le sociologue tente i
Il en va du postmoderne comme du moderne. Voilà des notions commodes, mobiles, plastiques et assez élastiques pour désigner ad libitum ce qui est actuel, à la page – à la mode – ou en train d’advenir. Déjà, les traducteurs médiévaux d’Aristote distinguaient via antiqua et via moderna ; la querelle des Anciens et des Modernes a défrayé la chronique littéraire à l’âge classique, et, si l’on a lu Baudelaire – Le Peintre de la vie moderne notamment –, on comprend mieux l’injonction rimbaldienne : « Il faut être absolument moderne. » Pas facile de s’y retrouver cependant entre l’usage publicitaire du mot, et le concept censé nommer le Zeitgeist, l’esprit d’une époque qui commencerait avec la Renaissance et qui s’achèverait avec la fin des illusions de la modernité, justement. Nous devons à Jean-François Lyotard d’avoir porté sur les fonts baptismaux l’expression de « postmodernité » pour caractériser l’ère de la « fin des grands récits » ( La Condition postmoderne, 1979), désignant ainsi l’effondrement des illusions modernes qui permettaient d’ordonner le devenir historique. Sorte de surgeon du nihilisme, le postmodernisme n’est ni ultra, ni hyper, ni antimoderne.
On doit à Michel Maffesoli, sociologue du quotidien et essayiste brillant, d’en avoir précisé et enrichi le concept. Contre la rationalité abstraite, verticale et dévastatrice de la modernité, animée par la volonté de dominer la nature et les rapports sociaux, et contre ce qu’il appelle la « paranoïa » , maladie des « impubères » modernes qui s’expriment comme une meute d’adolescents attardés, il invoque l’ « épinoïa » postmoderne. Celle-ci serait une manière de penser où prime le discernement, la discretio, sachant repérer sous les représentations simplifiées qu’en donnent les petits marquis de l’idéologie moderniste dominante et mortifère – et ce, jusque dans la banalité du quotidien –, la vie vivante, plurielle, diverse, inassignable aux catégories vermoulues de la médiacratie et des formes modernes du divertissement infini.
Jean Montenot