Onde intemporelle
Sans me hâter / Je m’acclimate / À l’im
minence de la nuit. » Dans la famille Chedid, choisissons la grand-mère. Sa poésie – ferme, ouverte, aventureuse – est de celles qui s’emplissent de sinuosités nouvelles à chaque fois que l’on s’en approche. Le mouvement est son aimant. Le temps, sa substance cadencée. Paru en 2003, quelques années avant la mort de l’écrivaine, le recueil Rythmes peut se lire comme la traversée, à grandes enjambées, d’une existence – et comme une description poétique de la naissance de l’univers, et du verbe en lui. Au commencement, il y a le tissu du rien, une « arythmie », un cosmos qui n’a pas encore connu le surgissement de la vie : « avant que le rythme n’ait pris possession de l’espace » , écrit la poétesse. Et puis la vie survient, s’extirpant du chaos par remous, prenant d’abord la forme d’une respiration, d’un air, d’un contre-chant. S’y débattent les ailes d’un oiseau – « relié à l’immensité » , « noué à l’infini » – tandis qu’apparaît, enfin, « venu d’on ne sait où » , la silhouette de l’homme, premier faiseur d’images, apporteur d’histoires et de légendes. Les vers se parent alors d’un « je », et la voix, plus personnelle, navigue « à la source du langage » puis dans le devenir d’un corps ; « On eut beau la flatter / Célébrer ses atours / Ma jeunesse s’engouffra / Dans la gorge du temps. » ( Jeunesse)
Composés comme des éclipses – dans le contrepoint, dans la symétrie inverse –, les poèmes réussissent à créer les images d’une prodigieuse célébration de la vie, baignée dans la conscience de l’éphémère, saisie ici comme un intervalle convoité. « Qui étais-je avant / Qui serai-je après / Ce bref parcours de vie / Entouré de mystères. » Il y a dans ces pages des intensités d’amour, un souffle lumineux, une hyperconscience affirmative du temps et de son « éternel complot » . Délicate et optimiste, Andrée Chedid sait fait chanter les gouffres. Limpide et humble, préférant les vérités aux bonheurs illusoires, elle dévoile la vie et ses émerveillements à travers les ombres.