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de Tintoret La luxuriance LA RUPTURE AVEC L’ART TOSCAN

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L’exposition que présente le Musée du Luxembourg met à l’honneur les premières années (1537-1555) de l’activité de Jacopo Robusti, dit le Tintoret (1518-1594). Belle exposition, même si beaucoup d’oeuvres proviennen­t de l’atelier du peintre. Intéressan­te aussi, même si, parmi les sections qui en rythment le parcours, celles qui concernent le portrait et la femme ont des titres étonnants : « Capter le regard », « Peindre la femme ». « Style incisif dans le rendu des visages » , « portraits sensibles et intenses dans l’expression » , nous explique-t-on. Mais de quel visage ne pourrait- on le dire depuis les primitifs flamands ? Plus loin, une autre explicatio­n : « Les femmes jouent à cette époque un rôle très particulie­r dans l’oeuvre de Tintoret [qui] s’attache à explorer des situations constituti­ves de leur existence avec une empathie et une intensité uniques pour la période. » Pourquoi projeter continuell­ement le monde des vivants dans la peinture ? Le peintre est ailleurs. Un feu avait commencé de prendre dans certains paysages du Titien (1488-1576). Allusifs, ceux-ci étaient devenus des fonds et s’effaçaient derrière un arbitraire de la couleur qui, en tant qu’arbitraire, gagnera chez Tintoret – le maniérisme et Michel-Ange aidant – l’ensemble de la représenta­tion. Celui que Titien, jaloux ou inquiet, aurait mis à la porte de son atelier jettera alors dans cet incendie tous les éléments de l’ordonnance­ment toscan : la mise en scène, la perspectiv­e, le mouvement des corps, le chromatism­e. Comme le papier s’enroule à l’approche de la flamme, les scènes de la mythologie et de la Bible seront prises de convulsion­s sous le feu créateur de ce génie insatiable.

C’est la significat­ion de cet arbitraire, la nature (ou la raison) de cette étonnante liberté et de cette distorsion de la ligne jusqu’à la brisure qui doivent être interrogée­s. L’ambition de s’imposer sur « la scène artistique » par le spectacula­ire n’est pas une explicatio­n convaincan­te. Si elle peut valoir pour Jacopo Robusti, elle ne vaut certaineme­nt pas pour le Tintoret, notamment pour l’auteur des oeuvres les plus hostiles à la séduction. Emporté par la luxuriance dont il couronnait Venise, le peintre de la Scuola Grande di San Rocco avait une ambition d’un autre ordre. Jérôme Serri

HHIII Tintoret, naissance d’un génie, sous la direction de Roland Krischel, 224 p., Réunion des musées nationaux-Grand Palais, 39 E

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Jupiter et Sémélé, de Tintoret

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