À géométrie variable
Laurent QUINTREAU - Dominique NOGUEZ - Benoît DUTEURTRE
Trois auteurs, ayant eu affaire de près ou de loin avec Revue perpendiculaire, dans les années 1990, sont de retour en librairie. Affirmant ainsi leur singularité.
Dans les maisons d’édition comme dans les rédactions – dans la vie, aussi –, tout est question de lignes, et du croisement de celles-ci. Prenons le cas de la Revue perpendiculaire, éphémère publication littéraire née au milieu des années 1990 et fondée, entre autres, par Nicolas Bourriaud, Christophe Duchatelet et Laurent Quintreau. Une bande de subversifs, qui se réunissaient dans un café de la rue des Archives, et qui, pour la plupart, songeaient à une carrière littéraire. Dans les pages de cette revue, on trouvait aussi bien des textes de Michel Houellebecq que ceux de Maurice G. Dantec, Lydie Salvayre ou Valérie Mréjen. Il a fallu attendre 2006 pour que Quintreau publie son premier roman, Marge brute, très remarqué à sa parution. Douze ans plus tard (et après trois livres passés un peu inaperçus), il revient en force avec Ce qui nous guette. Liées entre elles, les histoires qui s’y enchaînent sont plus terribles les unes que les autres. L’ensemble se déroule entre notre époque et la seconde moitié du xxi siècle. Tout commence par un congrès sur la « cérébration » qui manque de tourner mal. L’affaire se corse avec l’apparition d’un homme en train de vivre un divorce compliqué. Puis, avec celle d’une employée dans une multinationale convoquée en urgence chez son patron. Plus loin, on croisera un candidat à l’élection présidentielle, soudain incapable d’embrasser la fonction qui l’attend, ou une ingénieure de formation qui a fondé le Parti de l’équilibre. Les personnages de Ce qui nous guette sont dépassés, terrassés. Obligés de faire face à des tempêtes. À la terre qui s’ouvre sous leurs pieds. Le lecteur apprendra que nombre d’entre eux ont subi une opération du cerveau… Héritier de J. G. Ballard, Laurent Quintreau possède un talent inné pour parler de l’effondrement et de la chute.
HUMOUR ET ÉRUDITION
Autre compagnon de route de la Revue perpendiculaire, Dominique Noguez a soigné le portrait du héros de son savoureux nouveau roman, L’Interruption. Philosophe et universitaire, Adrien Delcourt approche de la soixantaine. Veuf depuis la mort prématurée de son épouse, notre homme lit Proust et Flaubert. Collaborateur de la Revue de métaphysique et de morale, il est également directeur de recherche à l’EHESS de Paris, prêt à rétribuer une belle étudiante avec laquelle il a une liaison. Mais Adrien Delcourt a surtout un grand projet à mener à bien : obtenir la chaire d’épistémologie des sciences sociales du Collège de France. Ce qui l’amène à aller à la rencontre de grands esprits de notre temps, tels Michel Zink et Claude Hagège, auxquels il rend visite afin de les convaincre de voter pour lui… L’humour et l’érudition de Dominique Noguez font mouche à chaque page de cette satire aussi corrosive que mélancolique.
SECOND RÔLE EMBLÉMATIQUE
Pris pour cible par la Revue perpendiculaire au moment où certains prenaient parti contre leur ancien camarade Michel Houellebecq, Duteurtre a aussi milité, en tant que membre du comité de lecture de Denoël, pour la publication de Marge brute, de Laurent Quintreau. Dans La Mort de Fernand Ochsé, ce dernier met en lumière la vie d’un des plus fins talents de musique légère. Personnage proustien, Fernand Ochsé était un « organisateur de plaisirs » qui recherchait « la beauté de chaque instant » . Passeur doublé d’un créateur, ce second rôle emblématique du Paris de la Belle Époque était le deuxième fils d’une famille juive de Neuilly. À la fois collectionneur, dessinateur, compositeur, et metteur en scène, Ochsé a été déporté à Auschwitz en juillet 1944, à l’âge de 65 ans. Il n’a laissé derrière lui que quelques recueils de mélodies, son opérette s’étant perdue dans la tourmente. On remerciera donc vivement l’auteur du Voyage en France d’en éclairer aujourd’hui toutes les facettes, avec la finesse qui est la sienne. Alexandre Fillon