Une femme sous influence
Se mettre à la place des autres est rarement profitable, constate la narratrice conciliante de ce roman poignant. Jusqu’au jour où elle craque.
Disons-le d’emblée : Je suis le genre de fille détonne dans l’oeuvre de Nathalie Kuperman. Pour son onzième roman pour adultes – elle écrit également pour la jeunesse –, l’auteure française, née en 1963, s’aventure dans un récit qui paraît tout d’abord assez frivole. Une succession de fragments de quelques pages où une narratrice – mère d’une adolescente et divorcée, la cinquantaine, à cheval entre la dépression et la crise de nerfs – se définit de manière assez caricaturale : « Je suis le genre de fille à repenser tout à coup au premier mec avec qui elle a couché, Fabrice Dutilleul. » Ou encore : « Je suis le genre de fille à se retrouver assise sur un canapé aux tons mordorés surmonté de coussins rose saumon peinant à s’assortir, une coupe de champagne dans une main, une feuille de vigne fourrée d’aubergine dans l’autre, et à serrer les fesses tant elle voudrait ne pas être ici. » Pourquoi se décrire ainsi ? Comment ces énoncés, calqués sur le style des magazines féminins, sont-ils censés donner une idée précise d’une personne ? Bien sûr, ce n’est pas leur vocation : ces phrases sont le reflet de la désespérance de l’héroïne.
Nathalie Kuperman saisit le fil des pensées de cette femme solitaire qui, à force de se mettre à la place des autres, de se juger à l’aune de leur assurance, des certitudes que les gens affichent dans les dîners, de l’absence de doute de ses amies, de la vision du bonheur de ses collègues, échoue à comprendre le sens de sa vie et qui elle est vraiment. Alors, elle disparaît dans l’alcool, le repassage, la télévision – qu’elle regarde des week-ends entiers – et de longs sommeils. « Je me nourris des gestes qui font disparaître » , dit-elle, avant d’expliquer que la désespérance maintient son « esprit en veille ». Elle ressasse, se perd en route, mais arrive enfin là où elle voulait aller : « Je suis du genre à être terrifiée à l’idée de savoir qui je suis. » Une femme qui a perdu sa mère, à l’âge de 26 ans, et qui aimerait savoir comment vivre. Rien de frivole ici, mais une écriture juste, délicate, sensible, brute et brillante comme un diamant. Gladys Marivat