Au pays du matin calme
Troublant personnage que cette jeune Bitna, à la parole ensorceleuse et à l’existence énigmatique.
Comme dans Les Mille et Une Nuits, Bitna doit inventer des histoires pour repousser la mort, un jour de plus. Or, elle n’enchâsse pas les contes pour sauver sa propre vie mais celle de Salomé, cloîtrée à l’hôpital et condamnée par une maladie qui la détruit lentement. Bitna commence par décrire M. Cho, le gardien d’immeuble qui élève des pigeons voyageurs. L’un s’appelle Dragon Noir et l’autre Diamant. Un jour, le couple d’oiseaux devra partir encore plus loin porter d’étranges messages. Puis, les histoires s’enchaînent, celles de Kitty et de Mme Lim, coiffeuse dans une ruelle commerçante, ou de Naomi, dont la voix est si mélodieuse. Salomé en veut toujours plus, repoussant l’instant où Bitna quittera la chambre. Mais la jeune fille a bien d’autres choses à faire dans cette ville de Séoul où elle poursuit ses études.
J.M.G. Le Clézio ne cesse d’ouvrir des pistes, puis laisse le lecteur s’y engager pour continuer seul ses fictions. Bitna est-elle manipulatrice ou manipulée ? Faut-il la considérer comme une étudiante douée d’imagination, décidée à gagner un peu d’argent en inventant des récits ? Est-elle consciente de son pouvoir ? Troublant récit, Bitna, sous le ciel de Séoul est une oeuvre protéiforme. Tantôt conte de fées, tantôt roman d’apprentissage ou promenade dans une cité du bout du monde. L’auteur de Désert y décrit superbement la capitale de la Corée du Sud, ses quartiers pauvres et ses gratte-ciel, ses ruelles sales et son métro high-tech, mais également ses habitants attentifs aux autres ou la beauté des temples au soleil couchant. L’essentiel se révèlera au fil des pages, dans cet attachement de Bitna à Salomé qui ne survit plus que par le fil d’une voix. Car le pouvoir infini de la fiction est derrière cette fable, accompagnant le rêve éternel de l’enfance avec l’ombre de « deux dragons dans le ciel de Séoul, qui recouvrent la ville et la rivière, et bougent parfois lentement, l’un contre l’autre ». Christine Ferniot