La vie d’Adele
Une plume enragée, terriblement efficace, pour dépeindre des personnages en quête de libération.
Silvia Avallone nous avait conquis avec D’acier, l’histoire d’une amitié fusionnelle entre deux ados rebelles dans l’Italie contemporaine. Sept ans après ce premier succès, l’auteure revient en force avec un nouveau roman à l’hyperréalisme brut et tranchant. Cette fois-ci, les barres d’immeubles sont celles d’une cité ouvrière de Bologne. Ici, la misère guette et on lutte pour boucler les fins de mois. Les mères sont guichetières ou femmes de ménage ; les pères, le plus souvent absents, alcooliques ou irresponsables, vivent de trafics, font des allers-retours en prison. Élevée dans ce béton, sans perspective d’avenir, Adele rêve de vacances à la mer en remplissant sa baignoire d’une eau au sirop de menthe. Enceinte à 17 ans, elle accouche seule dans une chambre d’hôpital. Dans les minutes qui suivront, le bébé sera donné à l’assistance publique, tandis que, dans un quartier bourgeois de la ville, une autre femme se prépare à accueillir le nourrisson.
Après une magnifique scène d’ouverture qui donne à sentir l’accouchement comme un brûlant corps à corps, Silvia Avallone remonte peu à peu les fils de cette grossesse non désirée. Neuf mois de la vie d’Adele sont racontés à la manière d’une novella sociale et urbaine, dense et sensuelle. Autour de la jeune femme, des êtres en lutte avec le poids de leurs conditions, sociale et familiale. Il y a Manuele, le jeune garçon revêche et désarmé qui choisit de fuir lorsqu’il apprend être le père de l’enfant. Et Zeno, le voisin timide qui trompe la solitude en observant la vie du quartier par sa fenêtre. À la recherche d’issues, dans ce labyrinthe de béton, les personnages voient leurs destins se croiser et se frôler au gré de chapitres à la fois aériens et tendus, chargés d’intensité, taillés à l’os. Portée par une prose qui avance par pulsations, Silvia Avallone parvient à dire la brutalité du réel avec une âpre et déchirante douceur. Sur fond de précarité et d’absence de perspectives, la maternité devient le cristallisateur des inégalités d’une société de plus en plus fragile. Devenir mère est-il un droit ? De quoi le désir d’enfant est-il le nom ? Construit sur un art de la nuance, le féminisme de la romancière s’appuie sur l’empathie, la tendresse lucide des regards, la faculté à saisir l’histoire collective dans les destins singuliers. À l’arrivée, un roman fougueux, tragique et enragé. Quelque part entre Elsa Morante, Elena Ferrante et Émile Zola. Estelle Lenartowicz