L’arrière- pays
À la veille du cinquantenaire de Mai 68, l’auteur analyse les éléments ayant peu à peu conduit à cette remise en question de la société.
Le sociologue n’a pas attendu le cinquantenaire de Mai 1968 pour en faire l’histoire. Dès 1998, il proposait, avec Mai 1968, l’héritage impossible, l’interprétation la plus réfléchie de l’événement. Mai 1968 avait bien « révolutionné » la société française, mais à rebours des intentions proclamées. Collectiviste, la « révolution de Mai 1968 » avait fait le lit de l’individualisme ; poétique, elle avait ouvert la voie au pire prosaïsme de la société marchande ; libertaire, elle avait bien contribué au dépérissement de l’État mais pour mieux assurer la domination des forces économiques. Dans ces conditions, le regain de mythologie dans lequel la commémoration du cinquantenaire de l’événement est plongé ne risquait donc pas de trouver en la personne de JeanPierre Le Goff un partenaire bienveillant. Plutôt que de batailler sur deux fronts – l’angélisme des hagiographes de gauche et la hargne des contempteurs de droite –, il a choisi, non pas de ressasser Mai 1968, mais plutôt d’éclairer, sinon ses causes, du moins ses « conditions de possibilité » pour parler comme l’un de ses idéologues, Michel Foucault.
DOUCE FRANCE
C’est donc de la France d’avant Mai 1968 qu’il s’agit dans ce beau livre qui nous rappelle un autre grand texte : La Fin du village, une histoire française où, dans la tradition des monographies sociologiques, étaient décrites et expliquées les transformations économiques, sociales et civiques d’un village provençal, au cours des années 1980. Avec La France d’hier s’ajoute une qualité – on a envie d’écrire « un charme » – supplémentaire. JeanPierre Le Goff a, en effet, choisi d’écrire ce livre à la première personne. On tient ainsi en main un livre que l’on pourrait dire d’« ego-sociologie », sur le modèle de l’ « ego- histoire » que Pierre Nora avait inventée, à la fin des années 1980, en demandant à quelques grands historiens de dire quelle part revenait à leur propre histoire dans l’histoire qu’ils faisaient. Le résultat est souverain. Pour connaître quelle France « explose » en mai 1968, il y a désormais deux livres : Les Choses, de Georges Perec et La France d’hier, de Jean-Pierre Le Goff. Marc Riglet