La Suisse au coeur de la francophonie
Créé en 2004, le Salon africain du Salon du livre de Genève est aujourd’hui un rendez-vous incontournable de la littérature francophone. Rencontre avec ses directeurs, l’écrivain et critique Boniface Mongo-Mboussa1 et l’écrivaine Pascale Kramer2.
Pourquoi un Salon africain au Salon du livre de Genève ?
Pascale Kramer. C’est l’une des plus vieilles scènes du salon. Elle a été créée par Pierre Marcel, éditeur et fondateur Quand Boniface et moimême sommes arrivés, c’était une scène très politique. Je me souviens d’une édition dont le thème était « Afrique : on va où, là ? » . Il y avait alors beaucoup de bagarres. Nous avons choisi aujourd’hui de mettre l’accent sur la littérature.
Cette année, le thème du Salon africain a pour intitulé : « Ces Amazones qui font l’Afrique ». Pourquoi ?
Boniface Mongo- Mboussa. Parce que ça sonne bien. Mais aussi parce que c’est une vision très éloignée de celle donnée par les médias en Occident. On a toujours l’impression que le sous- développement va de pair avec l’oppression des femmes. Or les gens qui connaissent bien l’Afrique savent qu’il y a des femmes puissantes ! La littérature est peuplée par celles-ci, chez des auteurs comme Amadou Hampâté Bâ ou Cheikh Hamidou Kane. Avant la colonisation, les gardes du roi du Dahomey étaient des femmes. Kadhafi a suivi ce modèle plus tard. Avec ce thème, nous voulions également souligner la puissance des femmes écrivains, comme les romancières sénégalaises Ken Bugul et Aminata Sow Fall, invitées au salon.
La Suisse pourrait-elle être le nouveau centre de la francophonie ?
P. K. Le Salon de Genève aimerait être le centre de la francophonie, bien sûr. Finalement, ça ne peut pas être Paris puisque, étrangement, Paris ne se considère pas comme francophone. À Genève, il y a une immense diaspora en raison de la présence des organisations internationales. Entre Suisses et Africains, on ressent une commune frustration qui crée une sympathie. La Suisse a pris l’argent des Africains, mais ne s’est jamais sentie supérieure intellectuellement, ce qui, tout de même, change énormément le regard [rires] ! Mes amis écrivains français ne lisent pas de littérature africaine : il y a cette idée que l’écriture serait trop foisonnante.
D’où vient ce préjugé ?
B. M-M. C’est une paresse entretenue. Dire que ces auteurs écrivent dans une langue baroque, foisonnante, truculente permet d’aller vite. Mais c’est nier leur personnalité. On ne peut pas dire de Mohamed Mbougar Sarr, de Boubacar Boris Diop ou de Kossi Efoui qu’ils ont une langue flamboyante ! Cette ambiguïté, car il y a toujours une ambiguïté sur l’Afrique, est entretenue par les universitaires, les journalistes et les écrivains eux-mêmes. Et puis cela permet à la France de dire que ces écrivains africains apportent quelque chose de chaleureux, qu’ils réinventent le français.
P.K. On ne peut pas réduire la littérature africaine à une seule définition. Sur le salon, nous accueillerons des jeunes auteurs et des auteurs confirmés, des auteurs du continent et de la diaspora, publiés en Europe et en Afrique, ainsi que des petites et grandes maisons d’édition. La littérature africaine francophone est dynamique et diverse.