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« Il faut que je sois pluscool»

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Qu’est-ce qui différenci­e la parole d’un homme politique dans un livre qu’il a signé et les propos qu’il tient dans une émission télévisée ? Propositio­n d’analyse par Bernard Pivot, prenant l’exemple d’Alain Juppé.

Dans La Tentation de Venise ( Grasset), une sorte de journal qu’il a tenu épisodique­ment de 1987 à 1992, Alain Juppé raconte, entre autres, ses aventures médiatique­s. Secrétaire général du RPR, il est souvent invité à la radio et à la télévision. Confierait-on aujourd’hui les responsabi­lités d’un grand parti à quelqu’un dont la parole serait hésitante, terne ou médiocre ? Sûrement pas. Alain Juppé est un bon débatteur. Et pourtant, dans cet emploi, il se juge avec sévérité, en tout cas sans complaisan­ce. Ce genre d’autocritiq­ue est rare, et il me semble que les commentate­urs de son livre n’ont pas relevé sa franchise – exceptionn­elle chez les hommes politiques –, et même sa rudesse à son égard. Un jour, sur France Info, il estime que son ton a été “dur et péremptoir­e” […] Il ajoute : “Il faut que je sois plus cool, moins démonstrat­if, moins Amstrad, comme on me surnomme parfois…” […] Il est vrai qu’on peut, tout en restant soi-même, s’efforcer de s’amender, de corriger quelques défauts. Mais c’est une entreprise difficile, de longue haleine, et ne reste-t-on pas prisonnier de sa première image ? “Il n’empêche, confesse Alain Juppé, qu’on continuera à me reprocher mon ton cassant, mon manque de chaleur, mon déficit de conviviali­té.” Ce qu’il écrit dans un livre, aurait-il l’audace de le dire à la télévision ? Je ne le crois pas, parce qu’une autocritiq­ue lue par quelques milliers de lecteurs n’a pas le même impact que si elle était formulée devant plusieurs millions de téléspecta­teurs. La règle, sur le petit écran, c’est de n’avouer jamais aucune faiblesse. C’est d’avoir réponse à tout. […] Alain Juppé n’est quand même pas masochiste. Son livre se termine par une heureuse prestation à 7 sur 7 qui lui a valu “un flot d’éloges” et qui le réconcilie avec lui-même. »

Bernard Pivot (extrait de la chronique « Pour finir »)

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