LE SAINT PRÉPUCE DE CALCATA
Bibliopole par nécessité et collectionneur un peu bibliotaphe par vice, j’ai eu, dès mes débuts dans ces deux états, un faible pour les traités singuliers, les dissertations récréatives, les sermons joyeux, les harangues burlesques, les bigarrures et pièces facétieuses, les réflexions et mémoires sur des sujets ridicules, texticules et curiosités qui, au xix siècle, ont captivé des amateurs comme Charles Nodier et le père du fameux architecte Viollet-le-Duc. Voici quelques titres parmi les plus alléchants : Lettre de corniflerie, La Magnifique Doxologie du festu, L’Origine des cons sauvages, La Source du gros fessier des nourrices, L’Apologie du pou, Les Privilèges du cocuage, Pogonologie ou histoire philosophique de la barbe, La Maltote des cuisinières, Les Évangiles des quenouilles, La Vie de saint Harenc, Description de six espèces de pets, Éloge de l’âne, Les Triomphes de l’abbaye des conards, Le Moutardier spirituel, Le Procès du melon ou encore Le Flux dissentrique des bourses financières et Réflexions sur les grands hommes qui sont morts en plaisantant… Ces joyeusetés publiées aux xvi xvii et xviii siècles sont pour la plupart des raretés bibliophiliques. Dans la seconde moitié du xix siècle, les sociétés bibliophiles et les libraires éditeurs spécialisés en ont réédité un certain nombre pour les curieux. D’autres ont reparu, rassemblées dans des collections et séries de variétés historiques et littéraires.
L’extravagante plaquette que j’exhume ici mériterait d’être traduite et de figurer dans un recueil de ce genre. Elle est titrée Narrazione critico-storica della Reliquia preziosissima del Santissimo Prepuzio di N. S. Gesu Cristo che si venera nella chiesa parrochiale di Calcata, Diocesi di Civita Castellana…, et fut imprimée à Rome en 1802. L’auteur, un certain Cesare Sinibaldi Gambalunga, relate un culte des plus grotesque pratiqué par les catholiques pendant des siècles : la vénération du prépuce de Jésus-Christ ! Ce dernier eut tant de succès qu’au début du xvii siècle on en comptait quatorze, tant en France qu’en Prusse, Belgique, Espagne et Italie. Les abbayes se querellaient, chacune assurant que le sien était le seul authentique. Innocent III, prié de trancher le débat, répondit qu’il préférait laisser ce problème entre les mains de Dieu. En réalité, la Vierge Marie, agacée sans doute d’avoir un fils polyphallique, avait déjà résolu cet épineux problème. Elle s’était adressée à sainte Brigitte qui rapporte ses propos dans le chapitre 112 du sixième livre de ses fameuses Révélations : le véritable prépuce est celui d’Italie ! Grâce au texte de cette grande sainte canonisée dès 1391 l’Église arbitra en faveur du prépuce de Calcata et justifia le culte rendu à cette relique. Les Révélations de Brigitte portèrent donc le coup de grâce aux prépuces étrangers, qui se sont retirés discrètement. Certains, toutefois, résistèrent, comme celui conservé en France à Charroux, près de Poitiers dans un couvent des Ursulines. Il en fut beaucoup question dans les journaux. Ce culte d’une indécente bizarrerie ne cessa qu’en 1900 lorsque la Sacrée Congrégation du Saint-Office prit le décret n° 37 interdisant de parler et d’écrire sur cette relique, sous peine d’excommunication. Elle obtint également que le Saint Prépuce de Calcata ne serait plus mentionné dans les guides touristiques.
Ceux que cette histoire intéressent trouveront de plus amples informations dans Les Clés de saint Pierre, de Roger Peyrefitte, romancier hétérodoxe et bibliomane incorrigible. Aux pages 309-328, il raconte les aventures du prépuce de Calcata. D’abord conservé parmi les trésors du Latran, volé en 1527 lors du sac de Rome par un lansquenet, puis caché par le voleur dans l’une des caves du château de Calcata, il ne sera retrouvé que trente ans plus tard.
Ce culte d’une indécente bizarrerie ne cessa qu’en 1900