JOURS DE CRIMES, Faites entrer l’accusé
Le genre policier ne se résume pas aux seules fictions, mais peut s’ouvrir aux récits des chroniqueurs judiciaires. Preuve en est le recueil d’instantanés de procès, Jours de crimes.
Si loin, si proche. Celui que l’on regarde dans le box des accusés semble naturellement différent de tous ceux réunis au tribunal. Il n’est pas là par hasard. Pour autant, cet individu dont le destin est alors entre les mains de la collectivité ne serait-il pas un miroir de notre part sombre (souvenez-vous de L’Adversaire d’Emmanuel Carrère) ? « N’aurions- nous pas, à sa place, fait comme lui ? Cette question se pose toujours, un jour ou l’autre, aux assises. […] Ses problèmes de tous les jours, nous les connaissons, car nous rencontrons, peu ou prou, les mêmes. Ce qui nous échappe, c’est la solution qu’il a imaginée pour résoudre ces problèmes, du moins le plus envahissant d’entre eux. Nous qui manquons d’imagination ou d’intrépidité, nous nous débrouillons différemment. » Des questions délicates, certes, mais légitimes, soulevées et présentées par les journalistes Pascale Robert- Diard et Stéphane Durand- Souffland, dans le recueil Jours de crimes. Ces deux chroniqueurs judiciaires – respectivement au Monde et au Figaro – se définissent comme des « ripailleurs d’humanité » et cherchent à nous montrer ces individus devenus, parfois malgré eux, (anti-)héros de faits divers. Et ce, à travers le récit de procès auxquels ils ont assisté, avec plus ou moins de sidération.
LA MACHINE JUDICIAIRE
On retrouve ici des noms « célèbres », de Guy Georges (dont la tête « ressemble à celle d’une poupée vaudou, traversée de longues et fines tringles, comme après un rite maléfique » ), à Michel Fourniret en passant par Francis Heaulme, Yvan Colonna, Bertrand Cantat ou encore Jérôme Kerviel et François- Marie Banier – qui n’avaient certes pas les mêmes choses à se reprocher. Comment les évoquer, à l’heure d’un flux quasi ininterrompu d’informations ? Que peut apporter le récit ? Un angle, un regard différent, une manière de s’attacher à un détail, au- delà du simple rapport de faits. Les auteurs passent ainsi d’une affaire à l’autre, oscillant entre des chapitres allant de quelques lignes à une vingtaine de pages, et proposant systématiquement une manière différente d’appréhender les hommes dans le cercle de la machine judiciaire.
Parfois, il suffit d’une réplique. Voyez cette réponse d’un SDF accusé de meurtre, lorsqu’on lui demande : « Combien de temps s’est écoulé entre les premiers coups de poing et les coups de pelle ? — Deux bières. » Condamné pour homicide ( l’assassinat d’une amie de sa femme) à dix ans de prison, Marcel Guillot, 93 ans, s’exclame, serein : « Après tout, je serai mieux ici qu’en maison de retraite ! Au moins, il y a des jeunes. » L’hébétude se fait naturellement sentir quand un dénommé Stéphane Moitelet, jugé pour l’assassinat d’un enfant, accuse le plus sérieusement du monde… son clone !
UN CONCENTRÉ D’HUMANITÉ
Pascale Robert-Diard et Stéphane DurandSouffland ont indéniablement le sens du raccourci, aussi bien pour faire passer l’émotion (voyez les larmes de cet homme de 40 ans face à la lettre déposée dans le cercueil de son ancienne petite amie, tuée vingt ans plus tôt) que pour faire ressentir le côté tragi-comique d’une situation, comme la vengeance sanguinaire après la mort de Max le chat ! Par ailleurs, ils nous offrent quelques beaux portraits d’avocats ou d’autres personnalités de la cour (un greffier, une juge de 30 ans…), décrivent précisément les mécanismes d’un procès – les réductions de peine, en pourcentage, comme s’il s’agissait de soldes ! – ou de ses à-côtés (les fameux bistrots du Palais). Tout un concentré d’humanité émane de Jours de crimes, aussi bien à travers les grands drames que dans les instants de légèreté incongrue, les vérités qui se révèlent soudain et les mystères qui s’épaississent. Reste à savoir qui a tué Max le chat…
À noter aussi la parution du remarquable document de la journaliste Ondine Millot, Les monstres n’existent pas (Stock), sur Dominique Cottrez, mère de famille ayant caché huit grossesses et assassiné ses huit nouveau-nés. Jours de crimes par Stéphane Durand-Souffland et Pascale Robert-Diard, 432 p., L’Iconoclaste, 20 €