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RAVENNE ET GIACOMETTI, la force du côté obscur

DU CÔTÉ OBSCUR

- Hubert Artus

Après douze « thrillers maçonnique­s », le duo à succès, RAVENNE & GIACOMETTI, se lance dans une nouvelle forme d’ésotérisme. Autre cycle, autre méthode, autre époque, mais les hommes restent les mêmes. Rappel et présentati­ons.

Décidément pas lassé par l’exercice, Jacques Ravenne inaugure avec son complice, Éric Giacometti, une nouvelle série. L’un est franc-maçon : Ravenne ( de son vrai nom Jacques Ravaud), ancien chercheur au CNRS et ancien président (apparenté PS) d’une communauté de communes dans le Lot jusqu’en 2014. L’autre n’a aucun tablier : Éric Giacometti, journalist­e au Parisien durant quinze ans, dont six à la tête des pages économique­s du quotidien. Tous deux sont fascinés par les histoires de sociétés secrètes. Les voilà donc désormais scénariste­s et auteurs à plein temps.

DU POLAR MAÇONNIQUE…

Le phénomène commence en 2005. Un an après la parution française du Da Vinci Code de Dan Brown, qui remettait une certaine fiction ésotérique au goût du jour. Du Rituel de l’ombre (2005), jusqu’à L’Empire du Graal (2016), en passant par Conjuratio­n Casanova, La Croix des assassins, Lux tenebrae ou Le Règne des Illuminati – le plus vendu avec 92 009 exemplaire­s en grand format et 155 000 en poche* –, pas moins de onze aventures ont paru avec « leur » Antoine Marcas. Commissair­e à la brigade criminelle de Paris avant d’intégrer l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels, leur héros est un franc-maçon qui l’avoue et le revendique. Ce qui, au début, pouvait paraître étrange : une telle appartenan­ce n’est-elle pas censée demeurée secrète, à tout le moins discrète ? « La franc-maçonnerie était la grande absente du roman policier français, avance aujourd’hui Ravenne, dans le sens où c’est un monde à part, sur lequel personne n’avait écrit. Enfin, sauf Pierre Magnan avec son commissair­e Laviolette, mais sans l’avoir développé. » Il avoue avoir été aidé par le fait que la loge qui est la sienne depuis vingt ans, le Grand Orient de France ( « obédience qui va de Xavier Bertrand à Jean-Luc Mélenchon » ), était alors « dans une politique d’externalis­ation. Des romans ainsi que la mise en avant d’un écrivain se réclamant franc-maçon ne posaient plus de problèmes ».

« Je ne pensais pas qu’il y avait, dans l’espace du polar français, une place pour ce type d’approche », sourit l’initié a posteriori, pour qui la clef du succès vient du fait que « ce genre présente la dimension sociologiq­ue d’un monde qu’on n’a pas l’habitude de voir ». Éditée au Fleuve Noir, puis aux éditions JC Lattès depuis 2016, leur « saga » a été vendue à plus de 1,9 million d’exemplaire­s*. Leur secret est donc aussi partagé qu’apprécié…

Fort conscient de l’écueil du conspirati­onnisme, Ravenne perçoit « quelque chose de l’ordre de la responsabi­lité » depuis Le Règne des Illuminati (2014), dans lequel les auteurs racontaien­t l’histoire de la société secrète disparue à la fin du xviii siècle, mais qu’un jeune sur trois pensait encore active (selon un sondage de l’époque). « Quand le complot n’est plus juste un objet de fiction, mais qu’il entre dans le champ politique national ou internatio­nal, vous avez une responsabi­lité morale. L’avantage, avec notre nouvelle série, c’est qu’on peut montrer le complot à l’état brut, nu. »

… AU VRAI THRILLER HISTORICO-ÉSOTÉRIQUE

À une série qui reposait sur le maillage entre une intrigue contempora­ine et une autre historique, succède donc Soleil noir, une trilogie entièremen­t située durant la Seconde Guerre mondiale. L’arc dramatique est le suivant : chez les Alliés et les nazis, des unités secrètes composées d’archéologu­es et de spécialist­es des religions mènent une course effrénée pour récupérer les quatre éléments de la tradition maçonnique : l’eau, la terre, le feu et l’air. Car selon une antique prophétie, qui les possède dominera le monde pendant mille ans.

À présent, c’en est fini d’Antoine Marcas. Avec Le Triomphe des ténèbres, premier volume de la série, place à Tristan, aventurier et trafiquant d’art, enlevé pour travailler au sein de l’Ahnenerbe, le départemen­t de la SS dédié à l’étude de l’ésotérisme et de la race aryenne. Le roman débute durant la Nuit de cristal, le 9 novembre 1938. Trois SS pillent un libraire berlinois et lui dérobent un ouvrage du xv siècle. Une rareté à l’origine de la Thule-Gesellscha­ft, société secrète fondée en 1918, et dont la vitrine politique sera le futur Parti national-socialiste. Quatre

QUAND LE COMPLOT N’EST PAS JUSTE UN OBJET DE FICTION, [...] VOUS AVEZ UNE RESPONSABI­LITÉ MORALE

cents pages plus loin, c’est le déclenchem­ent de l’opération Barbarossa et l’ouverture du front de l’Est, en juin 1941. Entre-temps, nous passons du Tibet au Roussillon, de la Catalogne à l’Écosse ; des Alliés, qui se préparent à résister, à l’intelligen­tsia nazie – Himmler, Hess, Goering – travaillan­t à la constructi­on accélérée des camps. Il est question de guerre, évidemment, mais surtout de ses dignitaire­s dont certains sont littéralem­ent possédés par des croyances païennes. Jouant de l’imagerie ésotérique qui conduisit Hitler à façonner sa propre étoile de la mort à partir de symboles existant dans des grimoires, Giacometti et Ravenne mêlent roman d’espionnage, récit militaire et dimension historique, pour montrer comment et pourquoi les nazis spoliaient les territoire­s conquis. Revendiqua­nt « l’envers de l’Histoire », les deux auteurs ont aussi tenu à documenter davantage leur fiction. De façon à mettre en évidence, comme le précise Ravenne, le fait que « le national-socialisme avait cette idée de vouloir réécrire l’histoire de l’humanité. Pour eux, ça passait par des enseigneme­nts secrets, par un ésotérisme de mauvais aloi, mais dont la base historique était vraie à quatre-vingt pour cent. [...] On s’est alors dit que c’était le matériau idéal pour une fiction qui, cette fois, reposerait sur du réel ».

La division du travail s’est, de fait, opérée différemme­nt. Giacometti s’est attaché aux scènes « alliées », et Ravenne, avec son âme d’archiviste, aux passages concernant le héros, Tristan. « Pour la partie “nazie”, on s’est partagé le travail, car nous avions absolument besoin d’un double regard : écrire sur le nazisme, c’est très compliqué », admet Ravenne. Le Triomphe des ténèbres couvre la fin de la guerre d’Espagne, la France dans la Collaborat­ion et la bataille d’Angleterre. Les auteurs ont d’ores et déjà attaqué le volume suivant (Le Règne des furies), prévu pour avril 2019, où ils aborderont le Moyen-Orient dans ce conflit. La série change, mais le rythme infernal continue…

Le Triomphe des ténèbres par Jacques et Éric Giacometti, 400 p., JC Lattès, 21,90 E. En librairie le 4 avril.

 ??  ?? Ci-dessus : Jacques Ravenne (à gauche) et Éric Giacometti (à droite).Page de droite :Défilé de SA à Berlin, en mars 1939.
Ci-dessus : Jacques Ravenne (à gauche) et Éric Giacometti (à droite).Page de droite :Défilé de SA à Berlin, en mars 1939.
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