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L’UNIVERS d’un écrivain : Sandrine Collette

Lorsqu’elle n’écrit pas, cette spécialist­e du thriller passe son temps à restaurer des maisons, à s’occuper de ses chevaux ou à compléter sa collection de Casimir en peluche, exposée dans la demeure paternelle, située non loin d’Autun.

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Sandrine Collette vit à Poil. Enfin, à quelques kilomètres de ce village nivernais, immortalis­é par Stéphane Collaro dans Le Pe t i t Rapporteur – et, plus récemment, par Doria Tillier dans Le Grand Journal. C’est ici, en plein coeur du Morvan, dans la petite bourgade de La Comelle, qui compte deux cent quinze habitants au dernier recensemen­t, que la romancière a trouvé refuge. Rendez- vous, donc, devant la petite église. À peine sur place, un gros pick-up se dirige vers nous avec, à l’intérieur, l’auteure d’Un vent de cendres et Il reste la poussière. « J’ai préféré venir à votre rencontre, précise-t-elle, car la maison ne figure pas sur le GPS. » Nous la suivons en voiture sur quelques centaines de mètres, entrons dans une grande cour et apercevons plusieurs maisons qui appartienn­ent toutes à la famille de Sandrine Collette. « On en a d’autres, d’ailleurs, dans le coin. C’est ma passion de les retaper. Je fais ça depuis mes 18 ans. Dès que j’ai terminé une baraque, il faut que je passe à une autre. C’est un véritable besoin physique. » Sur son C.V. : « à peu près tout ». Peinture, plomberie, maçonnerie, électricit­é, menuiserie, carrelage

et autres activités de la maison comptent parmi les passions de cette grande spécialist­e du thriller, décidément polyvalent­e et tout- terrain. De fait, un roman n’est-il pas une sorte d’édifice demandant à celui qui le bâtit une capacité à mêler les savoirs (qualités d’écriture, sens de la narration, recherches documentai­res, psychologi­e, etc.) ? « Oh, j’écris depuis que je suis adolescent­e. Des histoires de fantasy ou des choses un peu plus romantique­s. Mais je ne pensais pas du tout devenir écrivain », admet Sandrine Collette.

« JE NE SAVAIS MÊME PAS QUI ÉTAIT JAMES ELLROY ! »

Après des études de philosophi­e et de sciences politiques, elle devient chargée de cours à l’université de Nanterre – « dans la formation continue des adultes ». Hors de ses heures de bureau, et de ses activités domestique­s, elle se lance, au début des années 2010, dans la rédaction d’un roman, sans trop y croire, et l’envoie aux éditions Denoël. « Au premier coup, ça a marché ! Mais j’ai été surprise qu’on me dise que mon texte paraîtrait dans une collection de polars… C’est un genre que je connaissai­s à peine ! Il y a cinq ans, je ne savais même pas qui était James Ellroy ! » D’ailleurs, il serait erroné d’utiliser le terme de « polar » concernant l’oeuvre de Sandrine Collette – certes souvent classée dans ce rayon par les libraires. Si, de manière inconscien­te, elle utilise à loisir les techniques de ce genre, cette romancière plutôt inclassabl­e, dans la lignée de Céline Minard, n’a de cesse de changer de registre, « un peu comme David Vann ou Ron Rash » , alternant entre la fiction de captivité ( Des noeuds d’acier, qui lui a valu le Grand Prix de littératur­e policière), le roman noir viticole (Un vent de cendres), le suspense montagnard (Six fourmis blanches), le western néo-faulknérie­n (Il reste la poussière) ou la fresque post-apocalypti­que (Les Larmes noires sur la terre).

Avant de visiter la bâtisse principale – qui appartient au père de la romancière bricoleuse, et dans laquelle elle passe une bonne partie de son temps –, il convient de rendre visite à des hôtes bien particulie­rs, à une dizaine de mètres de là. Il y a quelques années, ils étaient plus d’une vingtaine ; désormais, ils ne sont plus que quatre chevaux, qui vivent paisibleme­nt dans un pré. Un premier animal s’approche de la barrière, pas du tout craintif : une femelle haflinger de 8 ans, à la crinière blonde, baptisée Vodka, venue peut-être chercher à manger, mais qui devra se contenter de quelques caresses. Le croisé quarter horse Tag vient également sympathise­r. Un peu plus loin, l’aînée de race dite « origine inconnue », Éclipse, nous regarde un peu interloqué­e – « c’est une très vieille dame, il ne faut pas lui en vouloir » –, tout comme le jeune croisé appaloosa et DSA (demisang arabe), Aïko. « Lui, il est timide et a peur des hommes, car il a été beaucoup battu par son ancien propriétai­re. Avant, on n’arrivait même pas à le toucher ! » Aujourd’hui, Sandrine Collette ne les monte plus vraiment. Tout juste fait-elle un peu de randonnée lorsque sa nièce vient lui rendre visite.

SIÈGE DE LA KOMMANDANT­UR

Dans ce domaine de dix hectares très boisé – idéal pour un film d’horreur –, il y a un autre endroit que l’auteure tient absolument à nous montrer, car c’est l’une des « sources », au sens propre comme au sens figuré, de ses romans : un petit étang, en contrebas. « Face à lui, les idées viennent vite. Ici, j’ai imaginé que quelqu’un pouvait être coincé et que la nature avait dû, comment dire ?, faire son travail… » À ce titre, chaque année, des arbres tombent dans cette propriété – ce qui n’est certaineme­nt pas un problème pour la résidente des lieux. Une hache, instrument qui pourrait peut-être servir à l’un des protagonis­tes de ses romans, et une scie déposées un peu plus loin nous rappellent l’axiome « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Sandrine Collette coupe en effet son bois de chauffage, qu’elle entrepose dans un abri sec. Et on ne peut qu’admirer la manière dont elle empile les stères, avec une régularité impression­nante.

La balade continue et on se laisse aller à regarder – outre quelques crocus – un vieux puits, un ancien lavoir où l’eau ne coule plus ( « les anciens avaient oublié que les arbres allaient grandir… »), une Harley-Davidson (« qui appartient à mon compagnon ») et un grand pigeonnier qu’elle a – faut-il le préciser ? – en grande partie restauré.

Ce petit tour nous ramène naturellem­ent devant un atelier, la maison de l’oncle de notre spécialist­e des frissons, et, surtout, la demeure principale – « la maison familiale historique, construite en 1875, que nous avons rachetée il y a une trentaine d’années et qui servit de siège à la Kommandant­ur locale ». La légende voudrait qu’en partant, alors que le toit brûlait, les nazis aient sorti le piano afin que l’un d’eux puisse jouer du Wagner devant les murs ! Avant de rentrer, on admire un arbre gigantesqu­e, qui avait gelé lors de l’hiver 1954, avant de reprendre naturellem­ent. « Il s’agit d’un araucaria du Chili. » Le terme signifie « désespoir du singe », ce qu’on comprend en voyant ses branches difficilem­ent accessible­s. « Parfois, un couple de tourterell­es réussit à y faire son nid, car les chats ont toutes les peines du monde à y grimper ! »

L’ÎLE AUX ENFANTS

Il convient tout de même de se réchauffer car, en hiver, le Morvan n’a pas grand rapport avec Ibiza. Mais c’est à une autre île célèbre que l’on va avoir affaire dans l’une des grandes pièces de la maison : l’Île aux enfants. Sandrine Collette n’est pas peu fière de nous faire découvrir sa collection de… Casimir ! Elle possède en effet une gigantesqu­e représenta­tion en bois du fameux dinosaure orange, sur laquelle elle a accroché de nombreuses peluches à son effigie. « Il me rappelle l’époque où j’étais petite, et à laquelle je reste encore aujourd’hui très attachée… » Dans sa famille, on aime traîner dans les brocantes et, au fil des années, elle a ainsi accumulé tous ces ersatz du « monstre gentil ». L’enfance est d’ailleurs extrêmemen­t présente dans tout le rez-de-chaussée, aux airs de musée ou de boutique de jouets anciens. Dans chacune des pièces, on aperçoit ainsi, savamment ordonnées, de riches collection­s de Dinky Toys, de figurines Disney, de lapereaux ou de chatons plastifiés et autres joujoux en bois. On s’attarde un instant sur les boîtes de biscuits Tintin, sur toute une série de réveils, de bidons d’huile ou de grosses boules de décoration pendues au plafond (passons sur les tableaux et les photos accrochés aux murs !). « Tout ça, c’est plutôt mon père, qui est un chineur passionné ! » Parmi la foison d’objets disparates réunis dans les trois grandes pièces communican­tes – et dans lesquelles trônent de vaillantes cheminées –, outre les livres et les CD de musique classique, une machine à coudre semble un peu perdue, seule dans son coin, tout comme des gants de boxe n’ayant pas servi depuis des décennies, ainsi que des épées. Des armes de défense ? « Non, non, il s’agit d’accessoire­s de cinéma récupérés par l’un de mes ex, cascadeur à cheval ! » La présence de statuettes de saints – « sans doute dérobées dans des églises » –a également de quoi nous étonner, mais Sandrine Collette a une réponse toute trouvée : « Je suis absolument fascinée par tout ce qui a trait à l’Apocalypse ! » Tout doute était dissipé à ce sujet par la lecture de son dernier roman, le très réussi Juste après la vague. Après une éruption volcanique ayant provoqué un tsunami, de nombreux territoire­s se sont trouvés recouverts par les eaux. Une famille nombreuse, ne pouvant réunir tous ses membres sur une modeste embarcatio­n, doit faire un choix cruel : abandonner plusieurs des enfants sur place, en attendant de pouvoir peut-être revenir*... « J’ai eu l’idée de cette histoire à Villeneuve-lez-Avignon, un jour où il pleuvait comme vache qui pisse ! » , se souvient-elle. « Des associatio­ns d’idées se sont nouées, j’ai fait des recherches Internet sur les déluges et les inondation­s. Je suis tombée sur l’histoire du volcan Pico do Fogo, au Cap-Vert, il y a plus de soixante-dix mille ans… Tout s’est alors enchaîné. » Soudain, la maîtresse de maison s’interrompt. « Bon, il est 17 heures, et on n’a toujours pas goûté. Pour moi, c’est un rituel obligatoir­e. Vous voulez des crêpes ? » Oui, avec de la confiture. Toujours profiter des petits plaisirs, avant l’Apocalypse…

* Voir notre édition de février 2018, page 89

 ??  ?? Sandrine Collette, une vraie campagnard­e. Aussi à l’aise dehors, en compagnie de ses chevaux ou à couper du bois, qu’à l’intérieur, quand il s’agit de retaper de vieilles bâtisses.
Sandrine Collette, une vraie campagnard­e. Aussi à l’aise dehors, en compagnie de ses chevaux ou à couper du bois, qu’à l’intérieur, quand il s’agit de retaper de vieilles bâtisses.
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 ??  ?? La propriété et ses différents points de vue alimentent l’imaginatio­n de l’auteure, tel cet étang, devant lequel Sandrine Collette a eu l’idée d’une trame terrible.
La propriété et ses différents points de vue alimentent l’imaginatio­n de l’auteure, tel cet étang, devant lequel Sandrine Collette a eu l’idée d’une trame terrible.
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 ??  ?? Les grandes pièces communican­tes, au rezde-chaussée de la maison principale, laissent apparaître l’âme collection­neuse de ses habitants – sans oublier une touche plus polar !
Les grandes pièces communican­tes, au rezde-chaussée de la maison principale, laissent apparaître l’âme collection­neuse de ses habitants – sans oublier une touche plus polar !
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 ??  ?? Baptiste Liger Photos : C. Boulze pour Lire Juste après la vague par Sandrine Collette, 304 p., Denoël/Sueurs froides, 19,90 E
Baptiste Liger Photos : C. Boulze pour Lire Juste après la vague par Sandrine Collette, 304 p., Denoël/Sueurs froides, 19,90 E

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