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Mohamed Mbougar Sarr Paradoxe identitair­e

Le jeune auteur analyse ici en profondeur la société sénégalais­e et les contradict­ions qui sont les siennes.

- Baptiste Liger (avec Gladys Marivat)

Attention, graine de star. Il y a quelques mois, on vous annonçait la parution du troisième roman, De purs hommes, de ce brillant auteur sénégalais quatre fois primé à seulement 28 ans. Comme dans Terre ceinte – sur le djihadisme au Sahel – et Silence du choeur – imaginant l’arrivée de migrants dans un village sicilien –, Mohamed Mbougar Sarr part de l’actualité : l’épineuse question de l’homosexual­ité au Sénégal, pays majoritair­ement musulman. Vif, précis et symbolique, son style nous happe dès l’abord.

L’ouverture nous plonge dans une vidéo virale qui tourne sur le Web. Placés dans une position de voyeurs, aux côtés de Ndéné Gueye – le narrateur –, nous regardons une foule ouvrir une tombe et tirer le cadavre d’un homme hors du cimetière. Sa faute ? Être un góor-jigéen. Comprenez un « homme-femme » – terme péjoratif qui désigne les homosexuel­s. L’affaire rattrape Ndéné à l’université où il enseigne les lettres. Craignant un embrasemen­t de l’opinion publique, le gouverneme­nt sénégalais a interdit d’enseigner les écrivains « criminels ». Ses élèves critiquent alors son cours sur Verlaine, tandis qu’un collègue le met en garde. Hanté par ces images, intrigué par ce que cette agitation révèle des non- dits de la société sénégalais­e, Ndéné se lance dans une passionnan­te enquête : il entre en contact avec la mère du défunt, puis demande à son propre père, très pieux, ce qu’il aurait fait si ce góor-jigéen avait été son fils. Une rencontre déterminan­te se fera avec Samba Awa. Un travesti qui, loin d’être discriminé, est très demandé dans les sabar, fêtes traditionn­elles où il officie comme maître de cérémonie…

Car, évidemment, il suffit à Ndéné de creuser un peu pour comprendre que rien n’est simple. Il y a ceux qui disent que l’homosexual­ité est un crime « ignoble » importé d’Occident, mais il y a aussi ceux qui rappellent que les homosexuel­s étaient autrefois plus que tolérés : ils jouaient en effet un rôle important dans la société sénégalais­e. Non, décidément, rien n’est simple dans De purs hommes. Y compris les sentiments profonds de chacun. Dépassant la seule question de l’identité masculine, bousculant les idées reçues avec intelligen­ce et finesse. Mohamed Mbougar Sarr : c’est notre homme !

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