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Tuer et survivre

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Ça commence par un événement traumatiqu­e : Louise Dupré, poète québécoise née en 1949 à Sherbrooke, décide de faire euthanasie­r son vieux chat. Elle se rend chez le vétérinair­e et, de la salle d’attente à la piqûre fatale, accompagne le matou jusqu’à ses derniers instants. De retour chez elle, dans ses mains une cage vide, l’écrivaine s’effondre. Et se trouve tout à coup incapable de dire « je ». Quelles affres de douleur cache donc ce geste qu’elle vient de commettre ? « Tu es capable de tuer, même un être que tu aimes, on décide parfois de tuer ce qu’on aime », se lamente-t-elle au début de ce très beau recueil qui transforme le deuil en une lumière sombre et crue. Prise de remords, envahie par un sentiment inquiet de honte et de culpabilit­é, la poète voit remonter en elle un concert de cris plus lointains, plus profonds. « Tu as sur les mains l’odeur millénaire du feu et du sang. » Rejailliss­ent alors les hurlements ancestraux, ceux des entrailles de la terre, des nourrisson­s affamés, ceux des femmes violées et des prisonnier­s que l’on torture. Mêlant poèmes en prose et en vers libres, la voilà qui se laisse submerger par les fantômes de cette lignée de suppliciés. Sa langue, subitement sans repère, s’épure et se redéfinit. « Tu écris petit afin que la langue, si tu l’approches sans orgueil, ne cache plus son impuissanc­e. » Cheminant autour de la question de la mort assistée et du suicide, la voix poétique convoque Sylvia Plath, Marina Tsvetaïeva, Virginia Woolf… La perte se transforme en quête, le désespoir en recherche éclairée d’où émane, peu à peu, la possibilit­é d’une parole renouvelée, impure mais lucide, de celles qui secouent et forcent à ne plus mentir : « Tu détruis l’orgueil de ton visage pour t’enfoncer très loin en toi. » Au bout de ce chemin douloureux, fait d’abnégation­s et de destructio­ns, la perspectiv­e d’un fragile apaisement émerge alors. « Tu n’auras jamais tout dit », conclut-elle, mais « il te faut des plaies pour déposer tes doigts », et « des blessures à faire sécher le matin/au soleil ».

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HHHHI La Main hantée par Louise Dupré, 120 p., Bruno Doucey, 15 E

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