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Gérard Manset « Dans la vie de chacun, tout est décousu »

- Propos recueillis par Hubert Artus

Auteur-compositeu­r, interprète, mais aussi écrivain, peintre et photograph­e, le mystérieux Gérard Manset propose, avec ce dernier ouvrage, un objet littéraire non identifié, dans lequel il revisite son parcours, humain comme artistique. Aux antipodes d’une autobiogra­phie classique, ce livre épais est comme une figure libre.

Quel est, chez vous, le déclic pour un livre : une image, un personnage, un thème, une histoire ?

Gérard Manset. Il n’y a jamais aucun préalable, pas plus en littératur­e qu’en musique, ou que dans toutes mes autres activités artistique­s. L’origine, ou la raison essentiell­e, ce peut être une phrase, un mot. Et puis un éditeur, qui attend un texte. Pour Cupidon de la nuit, il y avait une demande d’un éditeur [Albin Michel, ndlr] qui était, disons, amicalemen­t concerné. Il était question d’un livre qui parle de moi. Or, je ne voulais pas m’exprimer en utilisant le « je ».

C’est ainsi que m’est venue l’idée de prendre le parti d’un autoportra­it en creux : ce sont les autres qui parlent. J’y ai évidemment inséré aussi quelques contes, une forme que j’aime beaucoup. Puis de la fiction. Au final, cela a donné un assemblage complèteme­nt surréalist­e. Car ce portrait en creux est bien plus parlant que si je l’avais brossé moi-même. C’est assez jubilatoir­e de défricher des terrains de cette façon-là.

Pourquoi vous refusez- vous au « je » ?

G.M. Parler ainsi de moi me semblerait impropre, et insipide. Ça ne sert à rien de raconter sa vie. Je me suis dit que la littératur­e française compte de grands écrivains qui parlent d’eux… sans en parler ! À commencer par Proust : La Recherche, c’est son journal ! Et sur trois mille pages ! Alors, j’ai rouvert son oeuvre, pour voir s’il y avait un « je » ou pas. Il n’y en a pas beaucoup. Sur trois pages, il décrit ce qu’il voit. Uniquement. Ce qui me va très bien, puisque moi, toute ma vie, j’ai décrit ce que je voyais, lors de mes voyages notamment. J’ai des tas de carnets, et parfois j’en ressors quelques bribes. J’ai donc préféré décrire certaines scènes qui m’ont plu, que j’ai vécues, que j’aime. Les choses sont apparues et se sont imposées ainsi. De façon décousue, certes, mais dans la vie de chacun, tout est décousu. C’est pour cette raison que j’ai inséré ce personnage d’Isa, qui est venue, comme ça, dès le début, elle a frappé à la porte… Elle permet des ricochets, des relances, des interrogat­ions, des digression­s, des dissertati­ons.

Une fois la « clé » trouvée, est- il aisé d’y greffer les autres thématique­s abordées, comme les voyages, vos filles, les souvenirs musicaux ?

G.M. Pas vraiment. J’ai d’emblée pris le parti de faire ce que j’appellerai­s un « sandwich » : une scène familiale / une scène de copains ou de dérive. Très peu de métier, très peu de musique. J’aime bien être du côté du réalisateu­r et non de l’artiste !

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Cupidon de la nuit par Gérard Manset, 352 p., Albin Michel, 22 €
 Cupidon de la nuit par Gérard Manset, 352 p., Albin Michel, 22 €

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