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Mon « non » est personne

Vincent DELECROIX Une analyse de l’emploi toujours plus fréquent de ces trois lettres synonymes de révolte, refus ou résistance.

- Philippe Chevallier

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No, no, no, no, no, no, no » : sept fois, le valet de Don Giovanni nous le dit, il ne veut plus servir son maître. Vérité de la musique chantée : il ne suffit pas de dire « non », il faut insister, pour que le mot fasse son effet, dérange un tant soit peu l’univers. Le philosophe Vincent Delecroix connaît trop bien l’opéra – évoqué dans son très beau Chanter (2012) – pour omettre une seule de ces syllabes qu’il cite méticuleus­ement, à l’image d’un essai plus soucieux de sa forme que de son ordre. Car il ne s’agit pas tant de fonder que de rendre sensible une vie négative, « soustraite » . Qu’est- ce qui se passe quand je dis « non » ? Qu’est-ce que je romps ou inaugure ? La réponse serait un jeu d’enfant – celui-là même qui fait un usage fréquent des trois lettres – s’il n’y avait un contexte chargé qui brouille les meilleures intentions. La Babel moderne est cette tour où tout le monde, désormais, à tous les étages, dit « non » , qu’il soit réactionna­ire, libertaire, nihiliste, anarchiste, héros, idiot ou simplement bougon ; tous d’accord pour s’opposer, s’indigner ou passer la nuit debout. Entre les lignes se lisent les noms de quelques Non récents, trop bruyants dans leur format best-seller : Indignezvo­us de Stéphane Hessel, Désobéir de Frédéric Gros ou l’actuel Thoreau revival. Mauvaise période, donc, pour écrire une énième philosophi­e du Non. En se frayant un chemin entre conformism­e et individual­isme, Delecroix réussit à renouveler la propositio­n et offre quelques pages fulgurante­s pour notre morale et notre politique : sur la démocratie comme régime de la « mauvaise volonté » ou encore sur la manifestat­ion comme mode d’existence théâtral du peuple. Nous défloreron­s à peine les dernières pages, lumineuses, où le Non semble se creuser en dedans et se révéler dans une manière non ostentatoi­re de s’opposer, en deçà même du Oui et du Non. Seraient ainsi déjouées les dialectiqu­es perverses de notre modernité.

 ??  ?? Non ! De l’esprit de révolte, par Vincent Delecroix, 274 p., Autrement/ Les Grands Mots,
19 €
Non ! De l’esprit de révolte, par Vincent Delecroix, 274 p., Autrement/ Les Grands Mots, 19 €

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