Enquête sur les formats poche
C’est le même art, la littérature, et le même objet de désir, le livre. Mais les formats traditionnels ou réduits, souvent complémentaires, obéissent à des modèles économiques bien distincts. Enquête sur la mécanique de redécouverte.
De nos jours, le grand format a souvent la vie courte, alors qu’avec le petit format et son prix attractif miroite la possibilité du « long-seller ». En France, comme dans bien des pays, une reprise en poche nécessite d’avoir connu un certain succès lors de la première parution. Mais « ces dernières années, il n’y a plus de règle systématique de transformation entre grand et petit format », observe Véronique Cardi, directrice générale du Livre de Poche. « Un succès énorme en inédit peut être un succès un peu plus modéré en poche, aussi bien qu’un succès criant dans les deux formats. »
Comment les éditeurs s’y prennent-ils pour relancer un titre ? Au Livre de Poche, on cite l’exemple de Petit pays de Gaël Faye, paru en 2016 lors de la rentrée littéraire. Lauréat du prix Goncourt des lycéens, ce premier roman fut un véritable phénomène. « Nous avons choisi de beaucoup travailler sur la prescription scolaire, avance Véronique Cardi, car une manière de pérenniser un tel succès en petit format était d’en faire ce qu’on appelle un “prescrit contemporain” – c’està-dire, un titre étudié à l’école –, devenant ainsi une sorte de fonds éternel. » Paru en septembre 2017 au Livre de Poche, Petit pays s’est vu accompagné d’un dossier pédagogique réalisé par une équipe d’enseignants d’un lycée niçois qui avait déjà travaillé avec l’auteur, l’ensemble ayant au final été envoyé « à une dizaine de milliers de professeurs et de documentalistes en France ». « Les écoles constituent un levier très fort : nous avions pour mission d’aller recruter d’autres lecteurs que ceux qui avaient été conquis lors de la parution du titre en 2016 », conclut la directrice de la collection.
Autre exemple de « conversion » réussie, mais sans doute plus risqué : La Daronne, de Hannelore Cayre ( Métailié, printemps 2017, « polar de l’année » pour notre rédaction, et prix Le Point du Polar européen). « Un livre qui avait très bien marché, mais qui n’est pas politiquement correct : il n’était pas voué à être un succès » , se souvient Elsa Delachair, éditrice en charge du polar et des documents aux éditions Points. « Dans ce cas particulier, la couverture était tellement forte qu’on a gardé la même. On a joué sur la mémoire visuelle collective du grand format pour le “jouer” en poche, ce qui rassure le lectorat. Et les libraires qui ne l’avaient pas encore lu s’en sont emparés, du coup, ça a marché. Pour ce genre de livre, c’est précisément le rôle du poche. »
LES BONNES SURPRISES
Ce défi, les éditeurs lui donnent le nom de « transformation » : le succès du poche vient confirmer celui du grand format, en apportant à son auteur un public différent. Et il est des cas où cette seconde vie a des conséquences retentissantes : « On remarque que la transformation peut agir comme un véritable booster, et qu’elle permet tout simplement de faire découvrir un auteur », témoigne Sébastien Rouault, directeur du Panel Livre à l’institut GfK, qui fournit les chiffres de références du secteur. « On a eu le cas, récemment, de Michel Bussi. Un avion sans elle s’était vendu à 50 000 exemplaires en grand format – ce qui était déjà un beau succès –, mais à des centaines de milliers en poche, quasiment un million à ce jour. Voilà un auteur qui a été découvert grâce au format poche et dont les titres suivants se sont beaucoup mieux vendus ensuite. »
Il cite également Elena Ferrante : « Le premier tome de la saga L’Amie prodigieuse s’était vendu à 11 000 copies en grand format. Il a, lui aussi, dépassé le million après sa sortie en poche. » Auteure à succès dans la catégorie des comédies feel-good, Agnès Abécassis a, quant à elle, publié
« LA PARUTION EN POCHE PEUT AGIR COMME UN VÉRITABLE BOOSTER »
une dizaine d’ouvrages parus sous différents formats. Elle témoigne : « Mon premier roman, Les Tribulations d’une jeune divorcée (Fleuve Noir, 2005, repris en Pocket), a connu plusieurs vies et, toutes éditions confondues, frôle les 200 000 exemplaires vendus. Pour ce titre, seuls dix pour cent des ventes se sont faits en grand format. »
TRAVAIL DE FOND ET POLITIQUE D’AUTEUR
Le petit format existe aussi pour garder, entretenir et reproposer les auteurs du « fonds », ceux qui, best-sellers ou non, forment l’identité d’une maison. C’est pour les conserver que, depuis des années, des maisons d’édition ont créé leurs propres collections de poche : Robert Laffont, Rivages ou Gallmeister, par exemple. Cette logique interne oblige à des choix drastiques, pourtant moins indexés à l’exigence de résultat. Chargée de la littérature étrangère chez Rivages, Nathalie Zberro explique ses critères de « reprise » : « Il y en a plusieurs : le résultat commercial du grand format, certes, mais aussi une volonté forte de politique d’auteur. Par exemple, lorsqu’en littérature étrangère nous avons redonné un souffle à Jim Crace en passant ses ventes de 700 à 7 600 exemplaires pour Moisson – une performance, pour un auteur qui vendait moins de mille copies –, nous avons décidé de rééditer un autre roman du fonds qui s’était peu vendu, L’Étreinte du poisson, pour lui prouver notre attachement et notre engagement. » En fiction française, elle cite l’exemple d’ « un écrivain majeur comme Céline Minard – qui était chez d’autres éditeurs avant le succès, chez nous, de Faillir être flingué –, dont tous les livres précédents sont publiés aujourd’hui en Rivages poche. Question de fidélité, encore ». D’ailleurs, pour le lecteur, garder un livre dans la poche n’est-il pas aussi une question de passion et… de fidélité ?