Les cendres d’Angela
La réédition de trois romans et d’un recueil de nouvelles met en lumière l’univers fantasque de celle qui a réveillé les lettres anglaises dans les années 1960 : Angela Carter.
Réalisme magique féministe et sciencefiction postmoderne. Voilà deux genres aux antipodes et dans lesquels on range l’oeuvre d’Angela Carter ( 1940- 1992). Ces étiquettes disent tout du caractère hors norme de cette écrivaine britannique à l’univers exubérant, qui convoque dans son travail le baroque et l’érotisme, le gothique et la psychanalyse. Auteure prolifique – elle a publié des romans, des nouvelles, des essais, des livres pour enfants et des pièces de théâtre –, elle connaît aujourd’hui en Angleterre un succès semblable à celui de Virginia Woolf. Née à Eastbourne (Sussex), elle a été une adolescente anorexique, élevée par sa grand- mère. Après des études de lettres à Bristol, elle devient journaliste et séjourne aux États- Unis, en Europe et en Asie. Inspirés des contes de Charles Perrault et de Lewis Carroll, de l’univers de Poe, de Sade ou de Baudelaire, ses livres créent une atmosphère étrange, à la lisière du fantastique, qui interroge ce qu’il y a de trouble et d’ambigu dans la nature et l’humain.
Ainsi Le Magasin de jouets magique raconte les mésaventures de Mélanie. Incarnation de l’innocence, la jeune fille débarque de sa campagne pour aller s’installer chez un oncle, curieux monteur de marionnettes aux airs de Barbe-Bleue. Dans Love, le personnage féminin est broyé par les codes de la société et les désirs que projettent les hommes sur elle. Écrit en 1969, en pleine période de libération sexuelle, ce court roman imagine un triangle amoureux joué par un trio de désaxés : deux frères marginaux, Buzz et Lee, et l’impassible et bourgeoise Annabel. Carter explique dans la postface s’être inspirée d’Adolphe de Benjamin Constant. Si la violence des pulsions sexuelles et le mal-être des personnages sont clairement ancrés dans l’époque d’Angela Carter, le sadisme de Lee et son drôle de mélange de sincérité et de mauvaise foi ne peuvent que rappeler le héros du livre de Constant.
PORTRAITS DE FEMMES
Enfin, le roman « Bien malin qui connaît son père… » , paru un an avant sa mort, mais surtout Vénus noire révèlent d’autres facettes d’Angela Carter. Ce dernier, un recueil de nouvelles, est composé de six portraits de femmes : la mère d’Edgar Allan Poe, l’épouse d’un prince, une prostituée ou encore Jeanne Duval, la maîtresse de Baudelaire. Femmes lascives, cyniques, bafouées, exilées, que l’écrivaine a fait naître des pays ou des contes qu’elle a arpentés dans la réalité ou dans ses rêves. Une lecture qui permet de saisir ce que Margaret Atwood a écrit dans la nécrologie d’Angela Carter, décédée en 1992 des suites d’un cancer. « Elle était tout sauf sectaire. Rien, pour elle, n’avait de couleur tranchée : elle voulait savoir tout sur tout le monde, chaque endroit et chaque mot. »