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DIANE DUCRET

- DIANE DUCRET

Dis-moi ce que tu lis, je te dirai...

Q uoi de plus simple que de rencontrer sa tendre moitié sur son lieu de travail. La difficulté, lorsqu’on est écrivain, c’est que la plupart de nos collègues ont rejoint les muses célestes. Autrement dit, ils ont clamsé. Mais cela ne les empêche pas de nous séduire, les bougres ! Les rencontres furtives au gré des librairies, les tête-à-tête lors des voyages en train, les mots, enfin, qu’ils sèment dans nos esprits, suffisent à faire naître en nos coeurs un idéal qui tient la dragée haute à nos contempora­ins.

Moi, j’aimerais rencontrer un type romantique et fébrile comme Musset, qui me dirait que « la nuit a des puissances telles, que les femmes y sont, comme les fleurs, plus belles », qui sait souffrir avec panache, aimer à s’en faire péter les ventricule­s. Il aurait le sens de l’humour de Flaubert, et m’amuserait d’un peu de mauvais esprit à la nuit tombée quand « le doigt de Dieu se fourre partout » et qu’il est d’humeur divine. Il aurait un petit côté aventurier à la Saint- Exupéry, m’emmènerait en bimoteur au-dessus des mers et, bien sûr, serait engagé dans son temps et aurait des conviction­s à la Victor Hugo. Et il aurait les yeux fauves de Jack Kerouac. Hélas, dans mon purgatoire célibatair­e, je rencontre beaucoup d’hommes baraqués comme Musset, et au physique de Flaubert ; des gringalets post-pubères et des chauves aux bajoues tutoyant d’un peu trop près la gravité. Autre écueil lorsqu’on flirte avec les livres : la machine à fantasme s’emballe sur des types qui n’existent pas. Mon délire, c’est Cyrano. Gascon qui ne s’en laisse pas compter, que j’imagine en demi de mêlée avec l’accent de chez moi, tenant tête haute aux puissants, mais avec le coeur si délicat qu’il meurt tout bas si on ne l’aime pas. Pour lui, l’amour, c’est la gloire en bécots !

Eh oui, en ce qui me concerne, tout le charme d’un homme repose sur son nez. L’appendice premier. On dit que la taille ne compte pas : c’est faux. J’aime les hommes aux yeux montés à cru sur un tarin aux dimensions respectabl­es. Laquelle est souhaitabl­e ? Si je ne peux lire l’heure à son ombre au fil de la journée, tel un cadran solaire, il n’est pas assez grand. S’il n’est pas semblable à l’aiguille du pic du Midi sur la géographie de ses traits, non plus. Si un aigle harassé ne s’en approche pas pour s’y percher, cela n’est pas assez. Si, lorsqu’il ronfle à plein nez, on n’entend pas la mer gronder, nenni. Un nez courageux qui prend les coups de soleil pour protéger sa face, un nez dont la vue rend l’archéologu­e nostalgiqu­e des pyramides d’Égypte, et fait rougir la fleur à l’idée d’être humée par un tel organe. Il n’a pas besoin d’être droit, il doit avoir de la personnali­té, vivre sa propre vie, comme Le Nez trop humain de Nicolas Gogol. Asymétriqu­e, busqué, cassé. Que les détenteurs d’un tel spécimen soient avertis, cela me donne envie de venir m’y abriter des rudesses de l’hiver et du monde, et de me nicher juste en dessous d’un battement de lèvres. Au printemps, pensez cependant à l’entretien de ce bosquet, un jardinage à la française s’impose.

Lorsque je sors de chez moi, je ne vois que trop nombreux des nez bien policés, censurés par de lourdes lunettes ou par une moustache prétentieu­se qui voudrait s’attirer tout le mérite de sa sagacité. Pire, parfois, comme une infamie amputant leur visage, un cache- nez ! Je vois aussi de timides nez dissimulés derrière un mouchoir, des nez, en somme, auxquels il ne manque qu’une chose que la bienséance et les canons de beauté voudraient leur enlever, le panache ! N’écoutez pas Proust vous dire que « le nez est généraleme­nt l’organe où s’étale le plus aisément la bêtise », qu’y connaît- il, ce dadais ? Osez, osez avoir un blase à la de Gaulle qui inspire l’envie de résister, et aux femmes qui ont un peu trop lu Cyrano de Bergerac, celle de vous embrasser. Où donc la moutarde vous monterait-elle, sans cela ?

On dit que la taille ne compte pas : c’est faux

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