ROMANCE
Avec ses nazis dans l’espace, l’auteure finlandaise propose un roman corrosif, mettant en scène deux humanités parallèles.
Partir à la conquête de l’espace, élire domicile sur la Lune, y créer une base arrière de la Terre afin d’assurer la survie de l’espèce : l’homme en rêve ; les nazis l’ont fait. Soixante-dix ans qu’ils y sont installés, affairés à préparer leur revanche. Ils y étaient déjà quand Neil Armstrong a marché sur la Lune, en 1969, et en 2018, ils y sont toujours. Pourtant sur Terre, personne ne s’en doute. Aux États-Unis, les élections approchent, et la présidente se remet tout juste de la catastrophe de l’expédition lunaire civile sur laquelle elle avait tout misé en vue de sa réélection. Cet accident, vécu comme une intrusion, voire une provocation, incite alors les nazis lunaires à riposter.
Dans le vaisseau du IVe Reich en route pour la Terre : la professeure Renate Richter, spécialiste de Terrologie, passionnée par Marlene Dietrich et les papillons, dont l’objectif est de se rendre « là où voir ces créatures extraordinaires voler dans les airs semblait parfaitement naturel » ; son mari « génétiquement compatible », le commandant Klaus Adler, déterminé à récupérer « la puissance de calcul » nécessaire à la construction d’une arme terrifiante ; et James Washington, top model noir, capturé lors de l’alunissage du vaisseau américain, désormais blanc aux yeux bleus après avoir été aryanisé à coups d’injections « de sérum d’albinisme ». Après un atterrissage mouvementé, Renate et Klaus découvrent une planète loin d’avoir évolué comme ils se l’étaient imaginé : surconsommation, gaspillage, abrutissement des masses, tyrannie de l’apparence, folie des réseaux sociaux…
AVEC OU SANS RÉVOLUTION 2.0
Uchronie à l’humour quelque peu amer, Le Reich de la Lune n’est autre qu’une reprise originale et réussie de l’idée qui a guidé le scénario du film culte Iron Sky, auquel l’auteure de Jamais avant le coucher du soleil (prix Finlandia 2000) a participé. Johanna Sinisalo confronte ici deux versions de l’évolution de l’humanité : avec ou sans la révolution technologique. Sur la Lune, les nazis, incapables d’espionner la Terre depuis le passage au tout numérique, n’ont pas pris la mesure des bouleversements générés par le capitalisme, la mondialisation et Internet.
En découlent des scènes délectables, notamment lorsque Renate découvre le téléphone portable, visionne des vidéos de chat sur YouTube, teste le Spa et le café, ou participe à sa séance de relooking. Poussant plus loin la réflexion sur l’absurdité de notre monde, et sous couvert de comédie légèrement burlesque, Johanna Sinisalo dresse un constat impitoyable sur les effets pervers et autodestructeurs dus aux abus et à l’aveuglement de notre civilisation. Une humanité assez désespérante, au fond, qu’elle soit terrienne ou lunaire. Meriem Djebli