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LITTÉRATUR­E ÉTRANGÈRE

Dans un magnifique récit, l’auteur des célèbres Chroniques raconte le long chemin qui l’a mené d’un milieu conservate­ur où son homosexual­ité était bannie à San Francisco où l’attendait son destin.

- Armistead MAUPIN

Pour beaucoup d’entre nous, le nom d’Armistead Maupin évoque un succès littéraire : les Chroniques de San Francisco. Les aventures de MaryAnn Singleton, jeune femme naïve qui a quitté son ennuyeuse ville natale pour la Californie ; de Mona Ramsey, conceptric­e-rédactrice bisexuelle ; de Brian Hawkins, ex-avocat, ex-hippie et grand séducteur ; et, enfin, de Michael « Mouse » Tolliver, jeune homosexuel qui cherche l’amour. Cette galerie de personnage­s attachants est logés au 28 Barbary Lane, chez Anna Madrigal, libraire retraitée, transsexue­lle et cultivatri­ce de marijuana. Feuilleton dans la presse, puis romans publiés chez HarperColl­ins, les Chroniques ont été adaptées pour la télévision et sont aujourd’hui traduites dans le monde entier. Récemment, les éditions de L’Olivier ont entrepris de rééditer en trois tomes la série de neuf romans. Le dernier volume paraît ce printemps, en même temps qu’un essai inédit d’Armistead Maupin : Mon autre famille. Ou le récit sans fard du parcours méconnu de l’auteur.

Avant de devenir un célèbre écrivain et un militant de la cause homosexuel­le aux États- Unis, Maupin a passé son enfance en Caroline du Nord. Né en 1944, il grandit à Raleigh, à l’ombre d’un père ultra-conservate­ur, ouvertemen­t raciste et homophobe, qui ne s’est jamais remis de la défaite du Sud esclavagis­te après la guerre de Sécession. Un homme capable de forcer sa famille à quitter l’église en plein milieu d’une messe sous prétexte que le pasteur a parlé d’ « amour chrétien pour nos frères et soeurs noirs ». Un père qui a inscrit sur la cabane de jeux que le petit Armistead a reconverti­e en théâtre : « Ne gaspillez pas l’argent de la Confédérat­ion ! Le Sud se relèvera un jour ! »

UNE HISTOIRE DES MENTALITÉS AMÉRICAINE­S

Très tôt, l’écrivain a ressenti pour sa famille un sentiment d’étrangeté, qui s’exprimait notamment lors des visites au cimetière, sur les tombes de ses ancêtres. « Peut- être n’y étais- je pas vraiment à ma place, ni alors ni jamais, peut-être ma vraie lignée se trouvait-elle quelque part au-delà de ce portail, au sein d’une autre tribu… » La mère et la grandmère de l’auteur, une actrice extravagan­te, ont toujours su « qui il était ». Il lui faudra cependant des années pour s’éloigner des pas de son père. Car une telle coupure implique de profondes douleurs pour un bonheur, somme toute, incertain. Quel monde l’attend en dehors du sien ? Alors, pour continuer d’être aimé, il se force à sortir avec des filles, écrit des chroniques ultra-conservatr­ices dans le journal de son école et travaille pour le journalist­e Jesse Helms, un nostalgiqu­e de l’époque de la ségrégatio­n raciale, qui deviendra sénateur de la Caroline du Nord, de 1973 à sa mort, en 2003. Puis, Maupin s’engage dans l’armée et partira au Viêtnam.

Pour le futur écrivain, la peur d’être banni de sa famille ne l’a toutefois pas emporté. À 25 ans, il connaîtra sa première expérience homosexuel­le et se sentira « un homme pour la première fois » . Il continue à se cacher, malgré cette liberté nouvelleme­nt conquise. Car, au- delà des valeurs du père, c’est toute une époque où l’homosexual­ité est considérée comme « une abominatio­n » qui pèse sur ses épaules. Maupin le rappelle : 1969, l’année du premier homme sur la Lune est aussi celle des émeutes de Stonewall à New York, opposant la police et les clients d’un bar qui accueillai­t ouvertemen­t les homosexuel­s.

C’est dans cette dualité que se trouve toute la richesse de ce livre. Porté par un remarquabl­e talent de conteur, Mon autre famille n’est pas que le récit de l’éveil à la sexualité, à l’écriture et à la liberté d’un ex-enfant du Sud, qui trouve « sa famille logique » à San Francisco. Il retrace une autre histoire des mentalités américaine­s des années 1950 à nos jours. S’y confronten­t les défenseurs des droits des LGBT et les partisans d’un conservati­sme rigoureux, dont on observe depuis quelques années le retour décomplexé. Gladys Marivat

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 ??  ?? HHHII Chroniques de San Francisco (Tales of the City), tome 3 (épisodes 7 à 9), par Armistead Maupin, traduit de l’anglais (ÉtatsUnis) par Michèle Albaret-Maatsch et Bernard Cohen, 900 p., L’Olivier, 22 E
HHHII Chroniques de San Francisco (Tales of the City), tome 3 (épisodes 7 à 9), par Armistead Maupin, traduit de l’anglais (ÉtatsUnis) par Michèle Albaret-Maatsch et Bernard Cohen, 900 p., L’Olivier, 22 E
 ??  ?? HHHII Mon autre famille (Logical Family) par Armistead Maupin, traduit de l’anglais (États-Unis) par Marc Amfreville, 260 p., L’Olivier, 22 E
HHHII Mon autre famille (Logical Family) par Armistead Maupin, traduit de l’anglais (États-Unis) par Marc Amfreville, 260 p., L’Olivier, 22 E

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