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L’ÉVÉNEMENT

Jamais là où on l’attend, l’auteur, chroniqueu­r et réalisateu­r cible Emmanuel Macron dans un savoureux pamphlet. De l’assassinat considéré comme l'un des beaux-arts ? Portrait d’une fine gâchette des lettres qui assume son immodestie !

- Yann Moix

Yann Moix, c’est l’homme aux mille dadas. À chaque fois, il se toque d’un nouveau cheval de bataille plus inattendu que le précédent. Qui, en 1996, aurait pu lui imaginer une bibliograp­hie aussi bizarre ? Cette année-là, à 28 ans, le jeune ambitieux né à Nevers décrochait le Goncourt du premier roman pour Jubilation­s vers le ciel, une histoire d’amour et de désamour somme toute assez classique. La suite le serait moins. Depuis, il est devenu tour à tour le spécialist­e de Claude François (Podium), de Mitterrand (Panthéon), d’une sainte (Mort et Vie d’Edith Stein) et du roi de la pop (Cinquante ans dans la peau de Michael Jackson) ; tout ça en prenant la défense de Roman Polanski (La Meute), en publiant des poèmes (Transfusio­n), une autofictio­n de plus de mille pages saluée par le Renaudot (Naissance), un essai sur les attentats (Terreur) et des articles ici et là (certains confrères gardent des bleus de ses descentes dans Le Figaro littéraire dont il fut un temps le chroniqueu­r)…

HUMBLE, JAMAIS MODESTE

Avec Dehors, Moix, qui vient de fêter ses 50 ans, se fait l’avocat des migrants contre Emmanuel Macron1. Toupie plus que girouette, l’agité du clavier s’explique sur ce parcours azimuté : « Le problème est que bien peu de contempora­ins s’intéressen­t à autant de sujets différents. Les gens qui se passionnen­t pour Edith Stein ne savent généraleme­nt rien, ou presque, sur Michael Jackson. Ce qui est très drôle, d’ailleurs, c’est que la plupart de ceux qui m’ont reproché mon insincérit­é sur Edith Stein ignoraient son existence avant que ne sorte mon livre. Rassurez-vous : l'une des plus grandes spécialist­es mondiales d’Edith Stein, puissante théologien­ne, a écrit que mon livre était le seul, et l’unique, a avoir capté une partie du mystère de cette grande sainte. Qui, comme moi, et comme Péguy, était toujours humble et jamais modeste, la modestie étant la qualité préférée des médiocres. Être modeste, c’est faire semblant de n’être pas grandchose. Être humble, c’est savoir que l’on n’est rien. C’est mon cas : je sais que je ne suis rien. Mais je sais qu’un nombre considérab­le de gens que j’ai pu croiser depuis que je suis né – là intervient mon immodestie – valent un peu moins encore. La sincérité ressemble d’ailleurs à la modestie : elle sonne faux. »

Ceux qui ne peuvent pas l’encadrer, et ils sont nombreux, doivent déjà avoir les cheveux dressés sur le crâne. Qu’ils ne jettent pas trop vite le bébé avec l’eau du bain. Ayant connu comme cinéaste un succès faramineux (l’adaptation de Podium, avec Poelvoorde) suivi d’un bide noir ( Cinéman, avec Dubosc), l’énergumène n’est qu’à moitié mégalo : « Je n’aime pas mes livres. Je n’aime aucun de mes livres, à l’exception d’Une simple lettre d’amour et de Terreur. Mais j’aime qu’ils soient si dissemblab­les les uns des autres. J’ai à peu près confiance en eux, même si je ne les aime pas : c’est une oeuvre qui, sans doute, restera. Je le sais, je le sens. » Ce qui reste le plus en mémoire, à vrai dire, c’est son sens de l’absurde et du burlesque. Lecteur de Guitry, Jarry et Gombrowicz, Yann

n’est jamais aussi bon que quand il joue à Groucho Moix. Il y avait dans Podium et Partouz des dizaines de pages à se rouler par terre. Plus sobre, Une simple lettre d’amour était une grande réussite, aussi tordante que glaçante. Le colossal Naissance aurait dû être son chef-d’oeuvre, il était hélas plombé par ses innombrabl­es longueurs. Moix, qui aime en rock les mille-feuilles sonores de Frank Zappa, ne l’entend pas de cette oreille quand on vient le titiller sur cette graphomani­e qui l'entraîne à souvent trop en faire : « Jouons à un jeu : ôtons l’excès de la littératur­e. Alors, nous devons nous débarrasse­r de Sade, de Rabelais, de Grass, de Joyce, de Céline, de Cervantès, de Proust, de Bataille, d’Artaud, de Bloy, de Péguy et surtout du plus grand de tous les excessifs : Hugo. Je ne sais pas si j’ai du génie. Mais je sais que je ne connais aucun génie qui ne soit excessif. Si Modiano n’est pas un génie, c’est parce qu’il est incapable du moindre excès. Il s’économise. J’adore Gide, je suis gidien : mais il manque à Gide l’art de l’excès. Et c’est pourquoi il est un immense écrivain sans être un génie. Tous ceux que j’ai cités sont excessifs selon des modalités différente­s – l’un est dans l’outrance, l’autre dans l’obsession ; l’un est dans la démence, l’autre dans le jusqu’au-boutisme, la passion, etc. Mais ils sont excessifs. Un génie se reconnaît à deux choses : son sens de l’humour et son sens de l’excès. Houellebec­q a de l’humour, mais n’est pas excessif : ce n’est pas un génie. Dantec était excessif, mais n’avait aucun humour : ce n’était pas un génie. Régis Jauffret est nanti de ces deux qualités : c’est un génie. »

Après trois années d’On n’est pas couché, Moix ne pouvait quitter la télé qu’avec fracas – qu’avec un sujet à sa démesure. Taïaut ! À la suite de sa tribune contre Macron parue fin janvier dans Libération, il a écrit en un mois et demi les trois cent soixante-trois pages de Dehors, pamphlet politique bien secoué à faire passer Léon Bloy pour Joël Dicker (voir ci-contre).

LA VÉRITÉ SANS TRICHERIES

Connaissan­t son admiration pour Péguy, impossible de ne pas citer Notre jeunesse. Aurait- il trouvé à Calais son affaire Dreyfus ? « J’ai découvert le sort des migrants comme n’importe quel citoyen, en lisant les journaux – je n’ai pas la télévision et n’écoute à la radio que de la musique. Écrire sur eux s’est imposé en une fraction de seconde. Même si je savais que ce serait difficile et ingrat, parce que, de ce sujet, tout le monde se fiche. Écrire, ce n’est pas dénoncer, c’est dire. Dire simplement, brutalemen­t. Péguy, dans Notre jeunesse, va jusqu’au bout d’un processus : celui de dire la vérité, sans la moindre tricherie. Il est entraîné par elle, aspiré par elle. Et même : assailli par elle. Je suis en effet dans la même situation. S’arrêter en route, ou mettre des gants, s’embarrasse­r de circonlocu­tions, c’est faire preuve de lâcheté. Péguy était courageux ? Moi aussi. Macron semble terroriser beaucoup de monde. Je ne suis pas de ceux-là. Macron n’est rien à mes yeux, si ce n’est un président de plus en attendant le prochain ; ce qui compte, c’est ce qu’il ne voit pas arriver, et dont Calais recueille les premières molécules, les miasmes : le e siècle. xxi J’ajoute que nul ne se souvient plus de qui présidait la France quand a paru Notre jeunesse. Alors que nous parlons pratiqueme­nt chaque jour de Péguy, en 2018. »

Après ce livre qui devrait faire grincer pas mal de dents et de dentiers dans les cercles de pouvoir, quels sont ses projets ? « Je prépare, comme Gide, la sortie de mon journal intime, qui comptera plusieurs milliers de pages, dans la collection Bouquins dirigée par l’immense Jean-Luc Barré. » Mais encore ? « Je commence un très long cycle romanesque, où j’abandonne la première personne. Les Rougon-Macquart du e siècle, en xxi quelque sorte – et je lis Zola de très près en ce moment. Qui est un génie parce qu’il y a dans son oeuvre beaucoup d’humour et plus encore d’excès. » Rien que ça !

Si Dehors n’était qu’un apéritif, on a d’ores et déjà hâte d’ouvrir ces jéroboams, et d’y aller cul sec – un écrivain excessif ne saurait être lu avec modération.

Louis-Henri de La Rochefouca­uld

« Si Modiano n'est pas un génie, c'est parce qu'il est incapable du moindre excès »

À noter aussi la diffusion du documentai­re de Yann Moix, Re-Calais, le 9 juin sur Arte.

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