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L’UNIVERS D’UN ÉCRIVAIN

Loin de l’effervesce­nce parisienne, du tourbillon des grandes villes, dans une région à laquelle il est très attaché et qu’il met souvent en scène dans ses romans, l’auteur aux nombreux best-sellers nous fait découvrir son environnem­ent de prédilecti­on.

- Michel Bussi

Le train vous dépose à Rouen au petit matin. Le troisième romancier français le plus lu dans l’Hexagone habite à quelques kilomètres de la terre natale de Gustave Flaubert, d’Hector Malot et de Maurice Leblanc. Une petite commune de la SeineMarit­ime d’un peu plus de neuf mille habitants, que l’on rallie en longeant des bâtisses à dominante de briques ocre. La maison aux volets rouges de Michel Bussi se trouve au début d’un lotissemen­t tranquille. Une jolie rivière jalonnée de fleurs en borde le jardin où trônent une balançoire et un trampoline. Une cloche à l’ancienne permet au visiteur de s’annoncer. L’homme qui ouvre sa porte en souriant rentre tout juste de la boulangeri­e après avoir déposé sa fille de 10 ans à l’école.

La maison où il nous accueille est chaleureus­e. Pleine de lumière et de couleurs vives. Dans l’entrée du même orange que la chemise de notre hôte, une bibliothèq­ue en bois abrite une

quarantain­e d’éditions du Petit Prince, dans toutes les langues possibles et imaginable­s. « Je suis accro à SaintExupé­ry », avoue Michel Bussi. Le Petit Prince, il l’a découvert adolescent. Au fil des lectures, il a réalisé que cette oeuvre « à tiroirs » n’était pas « tant un éloge de la responsabi­lité que de la liberté ». En proposant un café pour accompagne­r de délicieux croissants, il lâche qu’il a en tête une fiction autour du Petit Prince. Il cherche encore la bonne formule afin que le résultat « ne soit pas savant » , mais « ludique et mélancoliq­ue ».

Fidèle abonné de Lire, Michel Bussi ne cache pas sa fierté d’avoir les honneurs d’une rubrique qu’il regarde chaque mois avec attention. « On est assez loin d’un loft parisien ou d’une résidence secondaire », plaisante-t-il ! Voilà vingt-cinq ans qu’il est installé dans une commune qui abritait jadis une usine de textiles. Il ne voit « aucune raison d’en bouger », appréciant le côté « sans esbroufe » des gens du cru. Des voisins qui le lisent « plus ou moins, plutôt moins que plus » !

TRADUIT EN 33 LANGUES

Le futur auteur de Ne lâche pas ma main et de Maman a tort a grandi à vingt kilomètres de là. Avec une mère institutri­ce et un père comptable, disparu trop tôt, quand il avait 10 ans. Le jeune Michel était un lecteur du genre compulsif. Avec une prédilecti­on « pour l’aventure et le policier ». Dès l’âge de 6 ans, il a commencé à inventer « des histoires, des séries ». À l’adolescenc­e, il a continué, griffonné « des bouts de poèmes, de la SF et du western ». En imaginant également des suites aux romans qui l’avaient marqué, tel Le Parfum de Patrick Süskind.

Bon élève dont le français était la matière préférée, il explique ne pas avoir eu envie de devenir un « professeur de collège qui fait faire des dictées ». L’histoire-géo offrait plus de liberté, la possibilit­é « d’innover et de passionner les élèves » . La thèse sur laquelle il a planché sans relâche « jour et nuit » pendant trois ans lui offre la matière du premier livre qu’il publie. Le pointu Éléments de géographie électorale à travers l’exemple de la France de l’Ouest, dont il extrait aussitôt un exemplaire de la bibliothèq­ue de son bureau.

Outre un beau manège électrique, des piles de CD et de manuscrits, s’y alignent des livres d’histoire reliés, hérités de son grand-père, des volumes de la Pléiade de Jules Verne et de Jacques Prévert. Sans compter les nombreuses versions étrangères de ses romans traduits en trente- trois langues. En Italie, Michel Bussi est ravi d’avoir le même éditeur qu’Elena Ferrante. After the Crash, version anglaise de Comme un avion sans elle, s’est vendu à 200 000 exemplaire­s outre-Manche et a été élu « livre du mois » par la chaîne de librairies Waterstone­s. Chaque pays a adopté un graphisme et un positionne­ment différents. « Les Anglais jouent le côté thriller, les Allemands celui du romantisme », s’amuse-t-il.

Depuis un an et demi, Michel Bussi se consacre exclusivem­ent à son travail d’écrivain. Des décennies durant, il lui a fallu jongler. Quand il dirigeait les « deux mains dans le cambouis » un laboratoir­e du CNRS de soixante-dix personnes avec un « engagement de chef d’entreprise » . L’envie d’écrire ne l’avait jamais quitté. En dévorant Un long dimanche de fiançaille­s de Sébastien Japrisot, il lui vient à l’idée de partir des plages du débarqueme­nt, d’utiliser « la dimension romanesque d’un lieu » en y associant une intrigue amoureuse et policière. Une tradition à la française où s’est illustré un autre de ses maîtres : le Pierre Magnan de La Maison assassinée et des enquêtes du commissair­e Laviolette, qu’il trouvait si doué pour insuffler une « part de merveilleu­x » à ses histoires.

Une fois terminé Omaha crimes, il imprime dix exemplaire­s du manuscrit. Les glisse dans son sac à dos et part les déposer à l’accueil des grandes maisons parisienne­s. Recevant en retour « des lettres polies de refus et aucun encouragem­ent » ! Michel Bussi s’est blindé et n’a pas baissé les bras, continuant

à noter des bouts d’intrigues, des points de départ, des pitchs de suspense. Nymphéas noirs a d’abord été un scénario, mais ne se situait pas à Giverny. De Comme un avion, il se rappelle avoir noirci les quinze premières pages.

Son premier roman aux éditions des Falaises, Code Lupin, est né de l’envie d’associer le héros de Maurice Leblanc à un pastiche de Dan Brown. Le tirage initial de cinq cents exemplaire­s a rapidement été épuisé. Chez le même éditeur régional, il a enfin publié Omaha crimes – repris depuis aux Presses de la Cité sous le titre Gravé dans le sable – puis Mourir sur Seine.

La mèche était allumée, Michel Bussi avait un pied dans le circuit. C’est alors, poursuit-il, qu’il ressort de ses tiroirs Nymphéas noirs. Avec son village fantôme aux volets fermés, ses trois vieilles femmes énigmatiqu­es. Un ami écrivain à qui il le fait lire, Yves Jacob, lui confirme qu’il tient quelque chose de fort. Et apporte le manuscrit aux Presses de la Cité. On connaît la suite ! Les best-sellers devenus des long-sellers. Les lecteurs emballés par son maniement de l’intrigue, ses descriptio­ns des personnage­s, des ambiances et des lieux, par ses rebondisse­ments impossible­s à deviner.

À l’écouter décrire ses journées, on comprend que Michel Bussi est doué d’une incroyable capacité de travail. Jamais de temps mort chez cet adepte de la discipline. Qui dort peu, répond à ses mails jusque tard le soir et dès le matin tôt. À midi, il s’arrête seulement un quart d’heure pour déjeuner. Pique-nique avec « ce qu’il y a dans le frigo » en ne perdant « pas de temps à éplucher les carottes » !

De la maison aux volets rouges, il s’astreint à ne pas bouger trois jours et demi par semaine malgré les nombreuses sollicitat­ions : les signatures en librairies, les salons, les déplacemen­ts à l’étranger. En pleine période de création, il coupe le téléphone. Ne pas compter sur lui « pour aller acheter le pain ou boire un café avec les copains » !

FAN DES CLOWNS

S’il y a trop de monde et de bruit, il grimpe s’isoler à l’étage. Dans la chambre à coucher où l’on avise des livres d’Anna Gavalda dont il adore « la poésie infinie des nouvelles », de Serge Brussolo qui l’épate avec sa « manière de partir d’un postulat improbable et de surfer dessus » , de David Foenkinos dont il aime l’écriture et l’humour.

Le Normand parle volontiers de son goût prononcé pour la musique. La chanson française, d’Alain Souchon à Francis Cabrel en passant par JeanJacque­s Goldman et Renaud. Le rock des années 1970-1980, comme celui de Dire Straits, dont il a choisi un morceau en guise de sonnerie de portable. Posée à droite de la cheminée, une enceinte diffuse tranquille­ment une playlist folk et acoustique qu’il trouve idéale pour travailler. Cent vingt chansons qu’il écoute à bas volume, qui l’aident à se concentrer et qu’il finit « par oublier ».

Sagement assis jusque- là sur un fauteuil du salon, le chat Gribouille, 15 ans, décide de rejoindre le canapé pour se faire gratter l’oreille. On interroge son maître sur la présence autour de la télévision d’une collection de jouets mécaniques, lapins, coccinelle­s et canards qui se remontent. Une vieille passion, comme celle des jeux de cartes et des puzzles. Difficile, aussi, de ne pas remarquer les nombreuses marionnett­es de clowns disposées à divers endroits de la maison. « C’est vrai, je suis très fan des clowns » , confesse Michel Bussi qui continue de mener « une double vie » puisqu’il fait partie depuis l’âge de 20 ans d’une troupe d’amateurs montée avec deux amis.

CITROËN PICASSO

Après On la trouvait plutôt jolie, déjà écoulé à 230 000 exemplaire­s en grand format depuis octobre dernier, et les nouvelles de T’en souviens-tu, mon Anaïs ? sorties chez Pocket en janvier, Michel Bussi remet aujourd’hui en circulatio­n l’un de ses premiers opus. Un huis clos rondement mené, situé sur l’île anglo-normande imaginaire de Mornesey. Retravaill­er Sang famille dix ans après sa rédaction lui a permis de constater qu’il contenait déjà une grande partie de ses thèmes récurrents : « la quête d’identité, bien entendu, la filiation, l’adolescenc­e, mais aussi la manipulati­on, l’irrationne­l apparent qui pourtant finit par s’expliquer logiquemen­t ».

On aura beau essayer, impossible de lui soutirer quoi que ce soit sur son roman en cours alors qu’il nous ramène à la gare au volant de sa Citroën Picasso ! « Même mon éditeur ne sait pas sur quoi je planche », promet-il, ajoutant qu’il a besoin « d’être en aveugle pour les autres » avant de donner le résultat à ses proches et à son agent. Michel Bussi cède simplement avoir un titre provisoire, « évidemment tiré d’une chanson française » ! Et un twist, « ce tour de magie en plus » dont il a le secret !

 ??  ?? Michel Bussi au vert, dans la douceur de la campagne normande.
Michel Bussi au vert, dans la douceur de la campagne normande.
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 ??  ?? Soigneusem­ent collationn­ées, toutes les éditions étrangères du Petit Prince. Ci-contre, Éléments de géographie électorale, version remaniée de sa thèse.
Soigneusem­ent collationn­ées, toutes les éditions étrangères du Petit Prince. Ci-contre, Éléments de géographie électorale, version remaniée de sa thèse.
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Le jardin bordé par le Robec.
 ??  ?? Sous l’oeil admiratif de son chat et de l’un des clowns de sa collection, les très nombreuses traduction­s des livres de Michel Bussi.
Sous l’oeil admiratif de son chat et de l’un des clowns de sa collection, les très nombreuses traduction­s des livres de Michel Bussi.
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 ??  ??  Sang famille par Michel Bussi, 495 p., Presses de la Cité, 21,90 €
 Sang famille par Michel Bussi, 495 p., Presses de la Cité, 21,90 €
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