L’édito
ON NE COMPTE PLUS LES LIENS ENTRE LE DROIT ET LA LITTÉRATURE – qui ne se limitent pas aux seuls procès pour atteinte à la vie privée. Et s’il y a un terme, parmi tout le vocable juridique, qui collerait particulièrement bien au parallèle entre ces deux domaines, ce serait probablement celui d’ « héritage » (à ne pas confondre avec le testament littéraire !). L’imaginaire d’un auteur apparaît en effet comme une sorte de patrimoine – des connaissances et un univers qu’il a fait fructifier –, à partir duquel est établi un texte qui (se) donne, symboliquement, à autrui. Attention, celui qui l’a rédigé peut toujours être de ce monde ! Écrire demande, quoi qu’il en soit, une forme de générosité, d’abandon d’une partie de soi à destination de l’autre – d’autant que le prix d’un livre s’avère somme toute moins prohibitif que les frais de notaire… Au risque, parfois, d’avoir de mauvaises surprises, mais qu’importe.
L’HÉRITAGE, C’EST JUSTEMENT LE TITRE DE L’UN DES PLUS CÉLÈBRES ROMANS DE JOHN GRISHAM. S’il y a, aujourd’hui, un écrivain faisant le pont entre la fiction littéraire et le domaine judiciaire, c’est bien lui. Depuis près de trente ans, l’ex-avocat et homme politique américain enchaîne les thrillers juridiques à succès, avec force « objection, votre honneur ! » , pressions sur les témoins, magistrats corrompus, et autres éléments essentiels. Souvenez-vous de La Firme, L’Affaire Pélican, Le Client et de tant d’autres. Mais au-delà des simples divertissements robustes et bien huilés, il a indéniablement donné sa patte au genre, imposé sa maîtrise et, sans en avoir l’air, montré une Amérique contemporaine pas forcément « photogénique », tout en soulevant des questions morales ou sociétales inhérentes à celle-ci. Il nous semblait dès lors intéressant d’interviewer ce grand professionnel dans le présent numéro, au moment où l’on découvre en France son nouveau roman, Le Cas Fitzgerald. Outre son intrigue reposant – au départ – sur un vol de précieux manuscrits, John Grisham s’amuse ici avec la littérature, multiplie les références ludiques – qu’importe si on ne les perçoit pas toujours ! – et s’interroge sur les règles de la création (tiens, l’un des chapitres est justement intitulé… « La fiction » !). Bref, notre homme a parfaitement honoré le contrat.
PAR AILLEURS, QUI DIT « HÉRITAGE » DIT « TRANSMISSION ». Et il existe bien des manières pour qu’une oeuvre littéraire arrive entre les mains des lecteurs. Dès lors qu’il est question de format, et de réédition, le livre dit « de poche » a aujourd’hui une place essentielle. Quand on le regarde dans le détail, celui-ci n’a rien d’un simple remake ou prolongement automatique et attendu de la « première vie » d’un titre… Pratique en raison de sa petite taille et moins cher qu’une édition classique, cet objet fait véritablement partie des passeurs essentiels de la culture – qu’elle soit dite « haute » ou qu’elle relève du simple moment de plaisir jetable (qui n’a rien de honteux). Comme chaque année à cette période, Lire vous propose ainsi sa sélection de titres en « modèles réduits » récemment parus, mettant essentiellement en lumière des ouvrages un peu rares ou que nous n’avions pas traités lors de leur publication initiale. Même si, désormais, vous pouvez retrouver chaque mois deux pages dans notre rubrique intitulée « la pochothèque ».
HORS DES VOLUMES DISPONIBLES EN LIBRAIRIES OU EN BIBLIOTHÈQUES, la découverte d’une oeuvre littéraire peut passer par un échange bien vivant. Pourquoi pas dans le cadre d’un cercle privé de lecteurs – enfin, majoritairement, de lectrices. Encore (pour l’instant) peu usitée en France, la pratique dite du « book club » – abordée dans ce numéro – n’en est pas moins très populaire dans les pays anglo-saxons. On se réunit ainsi entre amoureux de littérature et on discute, tranquillement, passionnément ou avec véhémence, au sujet d’un livre que tout le monde (ou presque) a lu. Histoire de partager ses émotions, ses interprétations, sa subjectivité. Une oeuvre ne serait-elle pas, au fond, que l’agglomération de tous les sentiments qu’elle a provoqués ? Et un roman ne pourrait-il pas être résumé à la seule addition de ses lectures individuelles ? Voilà une hypothèse qui, pour revenir aux problèmes juridiques, ne simplifierait pas les questions de droits d’auteur et de propriété intellectuelle…