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FABRICE GAIGNAULT

- FABRICE GAIGNAULT

Dans les poches

Il y a longtemps de cela, je passai quelques heures à parler et à boire (à moins que ce ne fut l’inverse) avec Dan, le fils de John Fante, qui faisait alors ses premières armes d’écrivain traduit en français. Je dois aujourd’hui avouer que, davantage que son livre, plutôt bon dans une veine « fantesque » autobiogra­phique, mon excitation tenait au fait de rencontrer le fils d’un auteur de romans aussi merveilleu­x que Demande à la poussière, Bandini, Mon chien Stupide, ou encore La Route de Los Angeles, réédités aujourd’hui avec trois autres titres, dans une nouvelle présentati­on.

Comme son paternel, Dan Fante avait vécu, c’était certain. Je rencontrai­s un homme au visage sculpté de ses détours par la drogue et l’alcool qui se lisaient comme des crevasses douloureus­es sur un vieux parchemin orné d’une boucle d’oreille de hobo. Dan Fante me parla longuement de ce père aimé et craint, attirant et repoussant, fascinant et haïssable. Le lot de tout être humain, ou à peu près. Il m’avait confié que, lorsqu’on demandait à son père quel était le plus grand écrivain vivant, celui- ci avait coutume de répondre « John Fante », ce qui, à mes yeux, ne manquait pas de panache car, derrière l’outrance prétentieu­se et bravache de la réponse, on pouvait y lire une volonté de revanche devant l’indifféren­ce du public et des milieux littéraire­s américains envers son oeuvre. Ayant connu la dèche et la débine, John Fante devint un scénariste apprécié à Hollywood, après avoir épousé une fille « blindée ». Une commande de studio n’était rien d’autre que l’assurance d’un plat de spaghettis au caviar pour ce fils de rital ayant beaucoup souffert de l’ostracisme anti- italiens. L’homme attendait son heure, picolant, jouant aux cartes, flambant comme un mob, tout en continuant d’écrire des textes brutaux et tendres, secs et vivants, comme ce Rêves de Bunker Hill inspiré de sa vie de scénariste cachetonna­nt à L.A. La réhabilita­tion vint d’un poivrot, lui aussi génial, qui secoua durablemen­t les lettres américaine­s et se reconnut une dette magistrale envers Fante. Son nom : Charles Bukowski.

DE L’OR À LA DÉCHARGE

Dans le récit de sa jeunesse, l’ancien postier priapique raconte comment John Fante fut à l’origine de sa destinée. « Un jour j’ai sorti un livre, je l’ai ouvert et c’était ça. Je restai planté un moment, lisant comme un homme qui a trouvé de l’or à la décharge publique. J’ai posé le livre sur la table, les phrases filaient facilement à travers les pages comme un courant. Voilà enfin un homme qui n’avait pas peur de l’émotion. L’humour et la douleur mélangés avec une superbe simplicité. Le début du livre était un gigantesqu­e miracle pour moi. […] Et je compris bien avant de le terminer qu’il y avait là un homme qui avait changé l’écriture. Le livre était Demande à la poussière et l’auteur, John Fante. Il allait toute ma vie m’influencer dans mon travail. » Il n’est pas nécessaire d’ajouter autre chose. Puissent ces rééditions bienvenues influencer les vies de quelques nouveaux lecteurs et, qui sait, l’éclosion de bons écrivains.

 ??  ?? Rêves de Bunker Hill (Dreams from Bunker Hill) par John Fante, traduit de l’anglais (ÉtatsUnis) par Brice Matthieuss­ent, 192 p., 10/18, 6,60 E.Demande à la poussière (Ask the Dust) par John Fante, traduit de l’anglais (États-Unis) par Philippe Garnier, 272 p., 10/18, 7,10 E À noter aussi les rééditions, en 10/18, de Mon chien Stupide, Grosse faim, Bandini, La Route de Los Angeles et du Vin de jeunesse.
Rêves de Bunker Hill (Dreams from Bunker Hill) par John Fante, traduit de l’anglais (ÉtatsUnis) par Brice Matthieuss­ent, 192 p., 10/18, 6,60 E.Demande à la poussière (Ask the Dust) par John Fante, traduit de l’anglais (États-Unis) par Philippe Garnier, 272 p., 10/18, 7,10 E À noter aussi les rééditions, en 10/18, de Mon chien Stupide, Grosse faim, Bandini, La Route de Los Angeles et du Vin de jeunesse.
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