« Je porte ce livre comme un chagrin d’enfant »
Dans Quatre-vingt-dix secondes, Daniel Picouly relate l’éruption de la montagne Pelée en 1902. Ce drame le touche de près : sa famille y a échappé de peu.
Depuis combien de temps portez-vous ce livre ?
• Daniel Picouly. Je porte ce livre comme un chagrin d’enfant. Celui de mon grand- père Jean Jules Joseph, né à la Martinique en 1893, sur les hauteurs de Fort-de-France. Il a 9 ans au moment de l’éruption de la montagne Pelée. C’est un gamin qui rêve de bateaux et surtout du plus beau trois- mâts du monde : le Belem, qui doit accoster à Saint-Pierre pour les fêtes de l’Ascension. Jean Jules veut aller le voir. Sa mère cède. Ce 8 mai 1902, ils se trouvent sur l’embarcadère pour prendre la première navette en direction de Saint-Pierre. Là, on apprend que le Belem n’y accostera finalement pas. Mon grand-père a un gros chagrin. Il ne veut plus aller à Saint-Pierre. Son chagrin vient de sauver ma famille. Notre nom. Moi !
Que souhaitiez-vous saisir ? • D.P. Un instant intemporel, celui de la catastrophe. Le drame de Saint- Pierre en a les caractéristiques intangibles : un danger qui menace et des autorités qui rassurent ; le recours à des experts qui valident scientifiquement la réassurance ; et, enfin, un média pour la propager. Je voulais aussi restituer la beauté unique de Saint- Pierre, sa gaieté, son injustice, ses turpitudes. Et surtout ne pas parler de 30 000 morts, mais évoquer 30 000 destins dévastés, en respectant l’histoire vraie et le romanesque pur. Qu’avez- vous appris sur Saint-Pierre ?
• D. P. Le plus important n’est pas ce que j’ai appris, mais ce qui manque : un lieu à la hauteur de cette catastrophe. Certains y travaillent. J’espère apporter ma pierre à l’édifice.
Et sur vous ?
• D.P. Que je crois toujours au miracle des deux petites tasses en porcelaine qui restent intactes sur une étagère après une catastrophe.