Qui sont vraiment les « crétins des Alpes » ?
Après La Traversée des Alpes, Antoine de Baecque, professeur d’histoire à l’École normale supérieure, regarde à nouveau en direction de la montagne, pour un essai bienvenu sur une pathologie mal connue.
prétexte que le mal a été éradiqué dans les années 1920, on a oublié que la France comptait, au milieu du xixe siècle, 120 000 crétins et goitreux en zone montagneuse. On se souvient que le capitaine Haddock, grand promoteur de la francophonie, taxe le professeur Tournesol de « crétin des Alpes », mais on ne s’imagine pas que ces montagnes ont pu passer pour maudites et ses habitants pour des pestiférés. Le crétin *,
« cette horrible créature » décrite par Charles Dickens, « affligé qu’il est au niveau de la gorge d’une excroissance de peau animée d’un mouvement pendulaire », a pourtant hanté les consciences.
C’est à ces grands absents des travaux de Michel Foucault sur la folie et l’enfermement, remarqués pourtant dès la fin du xixe siècle, qu’Antoine de Baecque, historien de la Révolution, mais aussi randonneur alpin, rend justice dans un essai brillant, où la géographie le dispute à l’histoire des mentalités et de la médecine. Nain, difforme, le crétin intrigue médecins et scientifiques. Des centaines d’entre eux sont placés en asiles et écoles spécialisées, jusqu’à ce que l’on découvre qu’ils sont victimes d’hypothyroïdie par manque d’iode. Avant cela, les coupables désignés sont tour à tour les masses d’air humides, l’écoulement des torrents, la consanguinité…
Si le crétinisme a bel et bien disparu, il fait toujours rage dans la République des lettres à en croire Pierre Jourde. La preuve, selon lui, par Christine Angot, Michel Rio, Guillaume Dustan et Philippe Sollers. Mais il s’agit là d’une autre affaire, surtout lorsque, à l’inverse, le groupe rock Laids Crétins des Alpes revendique cette infirmité. * Selon le Dictionnaire historique de la langue française, « crétin » vient de christianus (chrétien), « le mot ayant dû être employé par commisération au sens d’“innocent” et par référence au caractère sacré et protecteur des simples d’esprit » .
HHHII Histoire des crétins des Alpes par Antoine de Baecque,
288 p., La librairie Vuibert, 24,90 €