Agnès Desarthe*
L’héroïne de son nouveau roman* est sauvée par une oeuvre que l’auteure a découverte à ses débuts : Une lubie de Monsieur Fortune, de Sylvia Townsend Warner. «
À21 ans, je travaillais pour la collection “L’Imaginaire” et je devais trouver des classiques méconnus à publier. J’ai écrit une fiche dithyrambique sur Une lubie de Monsieur Fortune, traduit par Denise Getzler. Peu après, je me suis retrouvée dans le bureau de Geneviève Brisac, qui était éditrice à L’école des loisirs. À l’inverse de ses camarades qui me demandaient mon CV, elle a voulu savoir quel était le plus beau livre que j’avais lu récemment. Quand je lui ai donné le titre du roman de Sylvia Townsend Warner, elle m’a répondu que c’était son livre préféré. Ce fut le début d’une immense amitié.
Le héros est missionnaire sur une île du Pacifique où il n’a converti qu’un seul jeune garçon. De ce roman, se dégagent une grande humilité et une humanité que j’ai rarement rencontrées ailleurs. Il y a aussi les descriptions des fleurs, des odeurs.
À ma connaissance, Sylvia Townsend Warner, qui était une
écrivaine anglaise du début du xx e siècle, n’est jamais allée en Polynésie, mais on voyage avec elle comme on ne voyage qu’avec les livres, en voyant mieux que si l’on était face à l’objet lui-même.
Cet ouvrage continue de m’accompagner. Il y a deux jours, j’ai encore prêté mon exemplaire plein de cornes, de choses soulignées et de remarques à un ami. Dans La Chance de leur vie, mon nouveau roman, le personnage de Sylvie est sauvé de la dépression par la lecture. C’est Une lubie de Monsieur Fortune qui la remet sur le chemin de la vie.
Sylvia Townsend Warner était homosexuelle, politiquement engagée, communiste. Elle a peut-être été mésestimée pour ces raisons. Ou à cause de la finesse de son trait, ce n’est pas de la littérature tonitruante. Mais je ne désespère pas que la gloire finisse par lui tomber dessus. »