« TOUTES LES VIES SE VALENT »
L’agrégé Philippe Lejeune a profité de « l’esprit 68 » pour abandonner sa thèse sur Procès et mystiques de la littérature au xx e siècle et rédiger un premier livre destiné au public : L’Autobiographie en France (1971), suivi du Pacte autobiographique (1975). Un demi-siècle plus tard, à 80 ans, il en a une quinzaine à son actif, tous consacrés aux « écritures ordinaires » – dont le journal intime.
Votre formule « pacte autobiographique » est passée dans le langage courant. Pourquoi ?
• Philippe Lejeune.
Sans doute parce que dans « pacte », il y a quelque chose du contrat faustien passé avec le diable. Signé avec son propre sang ! En réalité, ce pacte implicite engage l’auteur auprès de son lecteur. Il lui jure de dire la vérité, rien que la vérité…
Pourquoi avez-vous créé, en 1992, l’Association pour l’autobiographie (APA) ? • P.L.
L’idée était de faire émerger un conservatoire des écrits intimes. Le projet s’est concrétisé après mes visites de l’Archivio Diaristico Nazionale à Pieve Santo Stefano, un village toscan près d’Arezzo, où le maire a mis à disposition une partie du palais municipal pour archiver des autobiographies rassemblées à l’occasion d’un concours.
Seul le principe du concours me rebutait. Si des textes peuvent être inégaux, toutes les vies se valent : comment juger ? Pour le reste, l’entreprise m’a paru exemplaire.
Quelle est la fonction de l’association ? • P.L.
Offrir à tous la possibilité de faire un dépôt avec réserve – interdiction – de lecture pour garder l’intimité du texte pendant une période donnée. Cent à cent cinquante textes nous arrivent chaque année, parfois de dix pages, mais aussi sous la forme de soixante cahiers de deux cents pages ! Dans 70 % des cas, ce sont des récits autobiographiques; dans 20 à 25 % des cas, des journaux personnels, le reste étant constitué de correspondances. Ces textes sont lus par les membres de l’association qui rédigent un « écho de lecture » destiné à la fois à l’auteur – pour vérification – et aux chercheurs en sciences humaines. Y sont précisés le contenu, le propos et le projet du texte. Ceci est fait « en sympathie », sans jugement sur le style ou le fond. En vingt- cinq ans, nous avons reçu 3 500 textes. Soit 350 mètres linéaires d’archives. Cela prend beaucoup de place et nous avons dû déménager de la bibliothèque municipale au local des archives de la ville. Pourquoi avoir choisi Ambérieuen-Bugey, près de Lyon ?
• P.L.
C’est dû au hasard d’une rencontre avec une personne m’ayant confié le journal de son aïeule. Après lui avoir parlé de mon projet, elle m’a présenté le maire. Ambérieu est alors devenue la capitale des écrits intimes, comme Angoulême est celle de la BD !
En 1986, vous établissiez un inventaire des autobiographies du xixe siècle. Vous aviez lancé un appel pour que l’on vous envoie des documents familiaux…
• P.L.
Ce fut un tel succès que j’ai reçu des propositions d’autobiographies contemporaines, accompagnées d’un mot : « Je ne suis pas du xixe siècle, mais si vous voulez prendre ce texte malgré tout… » Les gens désirent être lus, engager un dialogue. Je profite des colonnes de Lire pour lancer un nouvel appel, cette fois en faveur des adhésions, nos seules recettes avec les dons. Pour 66 euros par an, celle-ci offre les trois numéros de notre revue La Faute à Rousseau et le Garde-mémoire, catalogue raisonné des textes de l’année écoulée. Nos services sont gratuits et nous avons de nouveaux défis à relever.
Lesquels ?
• P.L.
Doit-on numériser les textes pour épargner les originaux et faciliter la consultation ? Doit-on plutôt les mettre en ligne ? Tous ou une sélection, et selon quels critères ? Devrons- nous nous comporter en éditeur et choisir ? Où trouver l’argent ?
« IL Y A QUELQUE CHOSE DU CONTRAT FAUSTIEN PASSÉ AVEC LE DIABLE. SIGNÉ AVEC SON PROPRE SANG ! »