Candidatures spontanées
Gilles Martin-Chauffier et Benoît Duteurtre sortent en même temps des romans flirtant avec la politique. Attention à ne pas vous tromper de bulletin de vote lors de votre prochaine virée en librairie !
Le clivage entre les différents partis est- il dépassé ? On préférera éviter cette tarte à la crème pour se poser une autre question : qu’en est-il des partis pris romanesques ? Quand on touche à la fiction politique, vaut-il mieux pencher du côté du réalisme ou de celui de la fantaisie ? Avec L’Ère des suspects, Gilles Martin-Chauffier milite pour la première option. Son roman met en scène la mort d’un adolescent dont le corps est retrouvé en bordure d’une voie de RER. Le jeune flic Cosme Giquel en est-il responsable ? La cité va-t-elle craquer ? Plusieurs narrateurs (la mère, des policiers, un journaliste, une avocate, la directrice de cabinet du ministre de l’Intérieur…) prennent tour à tour la parole. La quatrième de couverture annonce un « Bûcher des vanités à la française ». C’est oublier un souci stylistique. Car si l’ambition du livre est de nous mettre sous les yeux les différentes couches de la société française, tout le monde parle en grand bourgeois, avec argot à l’ancienne et humour à moulures, ce qui donne d’étonnantes saillies – comme un caïd de banlieue qui fait de l’esprit sur l’enseignement jésuite et l’histoire d’Athènes. Martin-Chauffier serait-il un Despentes de droite ? Son vaudeville ventriloque pourra faire pouffer quelques énarques en week- end en Normandie.
PARADIS DE CARTON-PÂTE
Plus raisonnable, Benoît Duteurtre a choisi d’être drôle de son plein gré en inventant, dans En marche !, un pays imaginaire, la Rugénie, dictature socialiste devenue havre de libéralisme et de politiquement correct. Le héros, Thomas, « jeune député curieux et constructif », qui fait là un voyage d’étude, n’a plus qu’à se pincer. Quand il n’assiste pas aux championnats de la Diversité, la cocasserie s’invite à tous les coins de rue avec les « conflits latents entre communautés postmodernes : bicyclistes, tricyclistes, rolleristes, femmes à poussettes et personnes en fauteuil ». Tout ne va pas si bien dans ce paradis de carton-pâte. Duteurtre cite Orwell, mais on pense plus à
Sempé ou Daninos.
La morale de cette fable ? En littérature, les effets de réel sonnent souvent faux, là où la bonne satire touche toujours juste. Au débat de l’entre-deux-tours, Martin-Chauffier s’incline devant Duteurtre.