Une nouvelle harmonie
Flora Bonfanti bouscule notre système de références d’un mouvement de pensée vivifiant.
Dire que les poètes réinventent le monde relève du lieu commun. Rares sont pourtant les textes qui se saisissent de ce mot d’ordre de façon si frontale, inhabituelle et engageante. Dans Lieux exemplaires, son puissant premier livre, la comédienne de 31 ans imagine un univers étrange régi par des lois et des symétries nouvelles. C’est un monde dans lequel « la destruction serait aussi laborieuse que la construction » et le chaos « aussi exigeant que l’ordre ». Et où, pour être autorisé à mourir, il faudrait commencer par désapprendre
tout ce qui a été appris. Et si les bombes pouvaient bâtir à la vitesse où elles anéantissent ? À la croisée de la poésie, de la philosophie et du mythe, Flora Bonfanti propose un voyage stimulant dans cette surprenante cosmologie. Le cheminement de sa pensée dénude des catégories aussi cardinales qu’éculées : la technique, la vie, la morale, le langage, l’action. Dans « Précis de silence et de bruit » , elle développe une analogie entre le bien et le silence, le mal et le bruit : « Le bien se projette comme un murmure prononcé dans une salle sourde. Le mal se projette comme un cri poussé dans un amphithéâtre. »
Articulant des alphabets inédits, Bonfanti s’attache à raconter la réversibilité de toute chose. Entre les lignes, elle révèle aussi ce que les forces de l’imagination ont de nécessaire à notre survie. Rigoureuse, inquiète, rythmée par l’ardeur, sa pensée crée un espace mental qui ne ressemble à nul autre mais que l’on sent avec une familière limpidité. « Qui serais-je si j’avais la compréhension intégrale de tout ce qui me fait ? » On en sort un peu sonné, comme de l’observation des vertigineux plafonds d’une cathédrale.