Jeu de dupes
Révélé en 2007 avec Aime-moi, Casanova, le Niçois Antoine Chainas compte parmi les meilleures plumes du roman noir français. Il revient avec un thriller politique de haute volée.
Son premier livre avait des accents de San-Antonio. Le suivant, Versus, lorgnait du côté de Houellebecq. Anaisthêsia et Une histoire d’amour radioactive, vers Chuck Palahniuk. Quant à Pur, il était plus classique. Avec Empire des chimères, Antoine Chainas renoue avec la subversion et la virtuosité.
Première bonne idée : il choisit ici de nous replonger dans le monde d’avant Internet et l’ère 2.0. Nous sommes en 1983. Henri Davodeau, directeur de cabinet du ministre du Commerce extérieur français, est missionné pour rencontrer le PDG de Lawney Industry, une multinationale du divertissement créatrice d’un célèbre jeu de rôle : Empire des chimères. Nous sommes au début du « tournant de la rigueur », le président Mitterrand abandonnant le socialisme au profit du social-libéralisme. Ce qui va permettre à une firme étrangère d’arriver sur le sol français.
DUO D’INTRIGUES
Très vite, nous basculons à Lensil, bourgade fictive située dans une région rurale, industriellement et socialement sinistrée. Henri Davodeau connaît bien l’endroit où son frère cadet tient toujours l’agence immobilière familiale. Il y est né, et c’est aussi dans cette petite ville que la firme Lawney pourrait installer son premier parc d’attractions en Europe. Pour ça, l’aîné est prêt à tout.
En quelques dizaines de pages efficaces, le roman nous présente les habitants des lieux. À Lensil comme ailleurs, les jeunes jouent à Empire des chimères. Parmi eux, les collégiens Julien, Rémi et Thomas. Leur quotidien tranquille est bientôt secoué par la disparition d’Édith Lidèle, 10 ans. L’enquête alors ouverte s’embourbe rapidement.
Ainsi le récit unit-il ces deux intrigues. La première est macroéconomique : une nouvelle expansion des capitaux américains sur le continent européen. La seconde est locale et sociale, constituant l’illustration de la première. Mais Empire des chimères vaut surtout grâce à un brio sidérant : la disparition de la fillette se poursuivra en effet sur les deux niveaux d’une narration labyrinthique aux ramifications surprenantes.
Avec cette fiction politique et économique doublée d’une réflexion sur l’industrie du divertissement, Antoine Chainas livre plusieurs polars en un. L’ensemble s’avère tout aussi mystérieux que réjouissant.