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Robespierr­e-Janus

Un essai de Marcel Gauchet sur l’« Incorrupti­ble » et le « Tyran », pour mieux décrypter la Révolution dont il est l’incarnatio­n.

- Emmanuel Hecht

La Révolution est « terminée »

depuis que Jules Ferry a sorti la démocratie du « bloc »

révolution­naire, en refusant de sacrifier la liberté individuel­le sur l’autel de la « nécessité historique » prônée par les universita­ires jacobino-marxistes dans le sillage d’Albert Soboul. La formule de l’historien François Furet ( 1927- 1997) constitua, il y a tout juste quarante ans, une formidable rupture. La Révolution n’était plus « une annonciati­on que n’épuise aucun événement », mais un épisode révolu du « roman national ».

« Terminer » la Révolution, c’est choisir la démocratie et les libertés individuel­les. Ce n’est pas pour autant en finir avec l’analyse de ce chapitre ô combien complexe du « roman national ».

Le nouvel ouvrage de Marcel Gauchet en est la parfaite illustrati­on.

Robespierr­e. L’homme qui nous divise le plus n’est pas une biographie et l’auteur renvoie d’ailleurs à celles d’Hervé Leuwers (Fayard) et de JeanClémen­t Martin (Perrin). C’est

« un libre essai d’interpréta­tion » de la carrière de l’avocat d’Arras au cours de ces cinq années ( 1789- 1794), doublé d’un portrait philosophi­co-politique inscrit dans une série consacrée aux personnage­s qui « ont fait la France ».

Pourquoi Robespierr­e ? Parce qu’il est « le nom de la contradict­ion qui continue de traverser le rapport des Français à leur Révolution ». « Héros »

ou « repoussoir », « il incarne à la fois sa promesse toujours vivante et son impasse sanglante » . La promesse ?

C’est l’ « Incorrupti­ble » de 1789, opposant et défenseur inflexible des principes et des droits du peuple, qui doivent se substituer à la subordinat­ion aux dieux. L’impasse ? C’est le « Tyran » , le gouvernant qui siège au Comité de salut le public entre juillet 1793 et juillet 1794, aux commandes de « la machine à tuer » de la Terreur.

LA PENSÉE EN ACTION

Le projet du rédacteur en chef de la revue Le Débat est d’en finir avec le « cul-de-sac » sur l’opposition entre les fins, « justes » (la liberté et l’égalité), et les moyens, « atroces » (le Tribunal révolution­naire, la loi des « suspects » ), afin de mieux « se réappropri­er ce passé traumatiqu­e en le pacifiant » . C’est aussi sortir de l’alternativ­e sur la manière de « terminer la Révolution » : en la conduisant à son terme, sur de « meilleures bases » ; ou en rejetant une expérience invalidée par les faits. Le matériau, ce sont les discours et les écrits du chef révolution­naire. La méthode, exigeante, est de suivre sa « pensée en action ». De s’interroger sur cette « vertu » revendiqué­e pour lui- même, qui devient le ressort de l’autoritari­sme, toute contradict­ion devenant le fruit de la « corruption ». Sur son identifica­tion au peuple, naturellem­ent vertueux. Sur sa conversion à l’idée de gouverneme­nt, jusqu’ici marque de

« l’inacceptab­le séparation entre le peuple souverain et l’autorité » . Sur son rejet, qui en découle, de la démocratie directe à la manière sans-culotte. Sur la nature religieuse de l’idée de la République ( « l’Être suprême »). Sur l’incapacité des droits de l’homme à livrer la formule du pouvoir capable de les incarner. Sur ce saut de l’absolutism­e des principes à l’absolutism­e du pouvoir.

« Il y a deux moyens sûrs de ne rien comprendre à la Révolution française : la maudire et la célébrer » , disait François Furet. Marcel Gauchet se garde bien de succomber à ces facilités. S’il approche au plus près la figure de Robespierr­e, et à travers lui, celle de la tragédie politique dont celui-ci est l’incarnatio­n, c’est à la bonne distance. Celle qui s’impose pour « terminer », plus encore, la Révolution.

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 ??  ?? HHHII Robespierr­e. L’homme qui nous divise le plus par Marcel Gauchet,
282 p., Gallimard,
20 €. En librairie
18 octobre.
HHHII Robespierr­e. L’homme qui nous divise le plus par Marcel Gauchet, 282 p., Gallimard, 20 €. En librairie 18 octobre.

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