La dictature des gens heureux
Dans leur essai au vitriol, la sociologue Eva Illouz et le docteur en psychologie Edgar Cabanas dénoncent les méfaits de la psychologie positiviste selon laquelle le bonheur est une obligation qui s’obtient par la simple volonté individuelle.
Aujourd’hui, être heureux est devenu la norme. Mieux, pour se sentir intégré dans la société, il ne faut rien moins que nager dans le bonheur, à la fois conjugal, familial et professionnel. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un oeil sur les réseaux sociaux où d’aucuns s’extasient sur leur propre vie, dans des photos tout sourire sur des plages de rêves à l’autre bout du monde.
Dans Happycratie, les chercheurs Edgar Cabanas et Eva Illouz analysent avec acidité et justesse ce monde moderne où la psychologie positive, ce courant de pensée datant du début des années 2000, qui consiste à enseigner le bonheur à coups de formules prétenduement scientifiques sur le mode « je vais bien, tout va bien », a fait des millions d’émules. Non contents de pointer les insuffisances intellectuelles et les faiblesses de ses résultats scientifiques, les auteurs montrent par ailleurs que cette psychologie New Age relève d’un individualisme forcené. Car,
d’après les psychologues positivistes, l’homme heureux du xxie siècle ne doit sa félicité qu’à lui-même et non à des conditions socio-économiques favorables. Une théorie qui a pour conséquence d’ignorer les inégalités sociales, tout en culpabilisant ceux qui ne parviennent pas à s’extraire du malheur.
AUGMENTER SON NIVEAU DE BONHEUR
Pour finir, Eva Illouz et Edgar Cabanas expliquent comment la psychologie positive a donné des idées à des consultants de bas étage pour monétiser cette doctrine, notamment en créant des applications tels que Happify, qui promet à l’utilisateur de « l’aider à réguler en temps réel son état émotionnel en lui expliquant – exemples à l’appui – comment travailler sur ses émotions et ses pensées positives, comment atteindre des objectifs plus ambitieux […], en résumé, comment augmenter son niveau de bonheur ». Le tout pour 11,99 dollars par mois. Alors, tenté ?