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Un troublant héritage

György Dragomán perce les secrets de famille d’une jeune orpheline dans une Roumanie traumatisé­e par son histoire récente. Un récit poignant.

- Estelle Lenartowic­z

Découverte il peu par les lecteurs français, l’oeuvre de la grande Magda Szabó ( 1917- 2007) a permis de poser un coup de projecteur sur les lettres hongroises. La relève est assurée avec György Dragomán, considéré aujourd’hui comme l’un des écrivains les plus importants d’Europe centrale. Après le succès

du Roi blanc, le talentueux quadragéna­ire (par ailleurs traducteur de Beckett et de Joyce), revient avec un puissant roman d’initiation campé en Roumanie au lendemain de la chute du régime communiste.

Dans Le Bûcher, la grande Histoire tient un rôle cen

tral, mais ne nous parvient

que progressiv­ement et par

un doux brouillard, à travers

le regard d’une jeune enfant

orpheline à qui tout a été caché. Au début du livre, une femme se présentant comme sa grand-mère vient la chercher dans l’orphelinat où elle habite depuis le décès de ses parents, morts dans un accident de voiture. Apeurée, hostile mais n’en laissant rien paraître, la fillette consent à la suivre et emménage bientôt dans la maison de cette vieille dame aux allures de sorcière. Commence alors le récit clair-obscur de leur quotidien.

RITES MAGIQUES

Plusieurs fils s’entremêlen­t avec grâce dans ce roman peuplé d’ombres, de fantômes et de braises. Il y a la dureté de la vie scolaire, l’exploratio­n de la nature, les émois amoureux, mais surtout la délicieuse rudesse de la vie domestique avec la grandmère. Celle-ci apprend à l’enfant à repasser les grands draps blancs, à confection­ner des strudels aux cerises et des confitures de prunes. Et l’initie à des rites magiques : dessiner des visages dans la farine, creuser des paupières dans les coques de noix, faire des voeux en brûlant des bûchers. À mesure que ces deux-là se rapprochen­t, la grand-mère commence à lui confier son passé douloureux.

« Il est parfois plus facile de se taire. Mais plus on se tait, plus il devient ensuite difficile et de se taire, et de parler », lui explique-t-elle avec l’ancestrale tendre sagesse qui est la sienne.

Brodant les destins de femmes aux âges opposés de la vie, György Dragomán sonde la mémoire sensible d’un peuple tourmenté qui, tout juste libéré du joug de l’oppresseur, titube dans ses souvenirs et le poids des divisions d’hier. Sa langue est limpide, chargée d’une élégance magnétique. Mêlant récit intime, roman d’apprentiss­age et conte aux accents fantastiqu­es,

Le Bûcher explore la mémoire familiale et le secret au rythme de scènes finement incarnées. La noirceur s’éclaircit doucement, et quand le roman se referme, la possibilit­é d’une réconcilia­tion s’esquisse à l’horizon.

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 ??  ??  Le Bûcher (Máglya) par György Dragomán, traduit du hongrois par Joëlle Dufeuilly, 528 p., Gallimard, 24 €
 Le Bûcher (Máglya) par György Dragomán, traduit du hongrois par Joëlle Dufeuilly, 528 p., Gallimard, 24 €

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