Dis-moi ce que tu lis, je te dirai...
Son audacieuse moustache pointant vers le haut comme deux tours gardant sa bouche
Trente- six ans le mois prochain, toujours seule. Un an et demi de célibat selon la préfecture de police, un siècle selon les organisateurs. J’ai l’impression d’avoir Cent ans de solitude à mon compteur amoureux. Alors, refusant de voir mourir l’été et ses promesses d’idylles en nu-pieds, j’ai migré vers le sud, en péninsule Ibérique, pour trouver mon latin. Un type qui parle avec des consonnes qui roulent des mécaniques, un infatigable joueur de mandoline qui me ferait sentir spéciale à chaque mot, provoquant jalousie, tendresse, douceur, passion, bref, un homme « todo incluido ».
Sauf qu’avec lui, les taxes ne sont pas incluses, et la facture réserve de sacrées surprises.
À Barcelone, je suis tombée sur Gabriel García Márquez. Charme fou, poésie ourlée sur le bord des lèvres. Il m’a dit Franco : « tu veux faire
L’Amour aux temps du choléra ? Après, je t’emmènerai aux
Funérailles de la GrandeMémé et ranimerai la Mémoire de mes putains tristes. » Vaste programme, mon général.
Puis, poursuivant mon périple, j’ai rencontré Tirso de Molina, Le Trompeur de Séville,
un Don Juan de première celui-là ! Merci monsieur, très peu pour moi !
Arrivant enfin à Madrid, attablée au bar Los Molinos de viento, je me suis retrouvée assise à côté de Miguel. Son audacieuse moustache pointant vers le haut comme deux tours gardant sa bouche a attiré mon attention. La conversation allait bon train, je lui racontais mes déboires amoureux, il me rétorqua « pour le mal d’hier, il n’y a pas de remède demain, Dulcinée » . L’aubergiste servit une cerveza à Cervantès, accompagnée d’une tranche de morue mal
séchée et encore plus mal salée, avec un morceau de pain aussi noir que ses cheveux. Sirotant mon verre de vin, je ne pouvais que l’écouter. Selon lui, la solitude était une poésie. Une « jeune fille chaste, honnête, toujours discrète, spirituelle et retirée » , se tenant subtilement sur les bords de l’agitation du monde. C’est moi ! Je m’y reconnus aussitôt. « Les ruisseaux la divertissent, les prairies la consolent, les arbres la désennuient, les fleurs la réjouissent, et, finalement, elle charme et instruit par ses merveilleux mots tous ceux qui la fréquentent. » Il me manquait un ruisseau, mais sinon tout y était. À ces mots, il se leva et m’embrassa à me chatouiller l’épiglotte. Il suffit de rouler un patin à un Espagnol pour se rendre compte à quel point le castillan est une langue gutturale.
«Tu peux m’ appeler Quichotte » , me glissa- t- il à l’oreille. Quichotte me chuchota qu’il se sentait, à mes côtés, capable de braver les plus grands dangers car, en cette vie, « rien ne donne plus de courage à un chevalier errant que les faveurs de sa dame » . Quichotte se retourna ensuite et lança à son chien Sancho d’aller chercher son cheval.Tout doux Rossinante !
Cette histoire devenait vraiment bizarre. Je m’inquiétais. Quichotte avait mis du GHB dans mon verre. Je m’agitais. Sancho pensa que je m’enfuyais et m’aboya dessus. Le serveur, me voyant en détresse, s’approcha de moi. Quichotte, fou de jalousie, sortit de sa Manche un bouclier, une lance et se mit à guerroyer, fendant l’air comme une misérable créature. Il avait le sang chaud. Sancho attaqua le postérieur du serveur, une bagarre générale éclata. « La jalousie est le tyran de l’amour », pour le Siècle d’or espagnol. Eh bien, jamais je ne serai la femme d’un tel dictateur !