Salina. Les trois exils
C’ est un nourrisson dans ses langes, qui n’est encore que « chair, bruits sourds, pulsations, veines qui battent et souffle qui cherche son chemin » . Amené par un mystérieux cavalier, posé à même le sol devant le chef d’un village du désert, le bébé crie et pourtant : il impose le silence, et fait même reculer les charognes et les hyènes. Le nouveau-né, une fillette, sera adopté et appelé Salina. La scène d’exposition est magistrale. Un chapitre plus loin, « à l’autre bout de sa vie », on la retrouve « vieillie par une vie entière de poussière, de combats, d’errances et de rage ». Salina a juste la force d’accueillir cet homme qui va là. Son fils. Venu accompagner sa mère dans la mort. Et de s’écrier : « Moi, Malaka,
fils élevé dans le désert par une femme qui parlait aux pierres, je vais raconter Salina, la femme aux trois exils ». Une vie de cris, de viols, de combats, d’enfants perdus, de larmes et de vengeance. Une femme recueillie, rejetée, spoliée, puis endiablée. Malaka raconte sa mère à une assemblée, pour accuser. Il crie aux hommes, aux cieux, pour que sa mort fasse d’elle une légende. En dix chapitres qui sont autant de tableaux, transcendant l’amour et la vengeance par un verbe des plus puissants, Laurent Gaudé fait de ce récit un mausolée. On pense alors à La Mort du roi Tsongor. D’ailleurs, ce roman est une sorte de suite à une pièce écrite par… l’auteur lui-même et intitulée Salina (2003) ! Un écho augmenté, largement amplifié et sublimé.