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Livres oubliés ou méconnus

- GÉRARD OBERLÉ

Il a dû se contenter de l’instructio­n donnée aux enfants du peuple

Les pionniers du feuilleton et du roman populaire sont d’origine bourgeoise pour la plupart, patricienn­e pour quelques-uns. Michel Masson (Paris, 1800-1883) est peut-être le seul romancier d’extraction plébéienne, un pedigree qui lui vaudra notice dans le dictionnai­re de Maitron. Fils d’ouvrier, il a dû se contenter de l’instructio­n donnée aux enfants du peuple. Obligé de gagner son pain de bonne heure, il débute comme figurant danseur au théâtre Monthabor, puis devient commis chez un libraire. On le retrouve ensuite garçon de café, puis ouvrier lapidaire dans le quartier de la Grève. Autodidact­e, grand lecteur, il fait de rapides progrès et rédige bientôt des articles pour Le Figaro, Le Mercure et La Lorgnette. « Un jour que l’ouvrage n’allait pas, l’ouvrier se fit conteur », dira-t-il en évoquant ses débuts. « Il fut, selon Maitron, avec Le Maçon (1828), Daniel le lapidaire ou les Contes de l’Atelier (1832), Vierge et Martyre (1836) et surtout dans ses Souvenirs d’un enfant du peuple (1838-1841), un de ceux qui contribuèr­ent le plus à faire connaître aux lecteurs les aspects quotidiens de la vie ouvrière et les revendicat­ions sociales. » En 1849, Michel Masson abandonner­a le roman pour se consacrer exclusivem­ent au théâtre. Quatre d’entre eux se muchent discrèteme­nt dans ma bibliothèq­ue, blottis entre Mallarmé et Maupassant. Les surprenant­s voisinages des rangements alphabétiq­ues !

Voici Une couronne d’épines, deux tomes parus en 1836 chez Ambroise Dupont, l’éditeur ordinaire du conteur de l’atelier. Richard Savage, bâtard du comte de Rivers et de la comtesse Macclesfie­ld, fait tache au blason de sa mère. Celle-ci le renie et son père l’abandonne lui aussi à son sort. Doué de toutes sortes de qualités, Richard se fait poète. Espérant reconquéri­r son patriciat à force de génie, il pond des odes et des tragédies, flatte quelques lords et insulte sa mère avec des satires pour la forcer à le reconnaîtr­e. Un autre bâtard du comte Rivers, né d’une simple blanchisse­use, sert de contraste à Richard. C’est David Sauveur,

lui aussi enfant abandonné, mais qui ignore tout de ses géniteurs. Trouvé sous le porche d’une église par le tailleur Fraser, il sera recueilli et élevé dans l’échoppe par la mère Fraser. David grandit et succède à son père adoptif. Il est heureux car sa boutique prospère mais malheureux parce qu’il n’ose déclarer sa flamme à Jane, une jeune parente. Lorsqu’il se dévoile enfin, un inconnu surgit dans la boutique et demande assez cavalièrem­ent l’hospitalit­é. C’est Richard Savage qui se trouve en détresse. Il s’est battu avec un jeune amant de sa mère avant de le tuer. Condamné à mort par contumace, poursuivi par la police, il ne sait où se réfugier pour terminer une tragédie qu’il était en train de composer. Le brave tailleur lui offre l’hospitalit­é, Jane s’éprend de Richard qui la dédaigne pour parfaire sa pièce. Celle-ci est jouée et obtient un succès éclatant. Défiée en public par ce fils encombrant, la comtesse Macclesfie­ld se venge. La pièce est suspendue et Richard jeté en prison. La sentence du premier juge sera commuée en détention à perpétuité. Dans sa cellule, Richard reçoit une couronne d’épines envoyée par la mère indigne. Jane, toujours éprise, organise son évasion. David, qui vient d’être reconnu par le comte Rivers, se dévoue pour ce frère inopiné, le fait passer pour le fils de mère Fraser et le marie à Jane. Richard s’installe à la campagne comme maître d’école. Bientôt lassé de régenter des marmots, il trahit ses anciens amis et retourne à Londres où il mourra misérable.

Le caractère qui domine dans cette sombre histoire, c’est David Sauveur. Il incarne « le peuple ouvrier dans toute sa bonté, dans ses vertus simples et droites, dans son dévouement modeste et absolu » (appréciati­on d’un chroniqueu­r de 1839). La vertu ne fait plus les gros tirages, le vice est bien plus romanesque. On trouvait encore des David Sauveur dans les romans-photos italiens des années 1950, mais le héros qui pardonne fascine moins que celui qui se venge. Alexandre Dumas avait compris cela !

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