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Le sens de la formule

- PHILIPPE DELERM

Cet été, sur la plage, j’ai entendu sonner des prénoms un peu étranges, époustoufl­ants parfois. C’est une plage singulière à force de ne pas l’être. Jacques Tati y a tourné le film emblématiq­ue des vacances françaises des années 1950. La plage a pris et gardé le nom de Monsieur Hulot, comme si le personnage veillait à ce que les choses ne changent pas trop. De fait, chacun s’accorde à reconnaîtr­e qu’elle est restée dans son jus, loin du bling-bling de ses voisines. Au 8 à Huit, on vend encore des petites pochettes contenant des coureurs cyclistes avec des billes.

Important, les prénoms. Quand j’étais prof en collège, à la fin de chaque année scolaire, il y avait cette réunion où nous préparions les listes des classes de sixième, en étudiant les dossiers de CM2. Dans les années 1990, je me souviens de cette réflexion d’une collègue : « Pas plus de trois Kevin par classe ! » Cela semblait raisonnabl­e. Sur la

plage de Monsieur Hulot, j’ai très peu entendu le revival chic des Jules, des Léon, des Suzanne qui font florès à Pornichet ou à La Baule. Pourquoi ai-je trouvé si sonore la voix qui intimait : « Mets le papier dans la poubelle jaune, Genaro ! » ? Tout aussi audible fut celle qui mettait en garde : « Ne marche pas sur les pieds du monsieur, Ezéchiel ! » Ou encore, comment ne pas trembler et sourire à la fois en écoutant le prosaïsme du conseil : « Liam, ne mets pas de sable dans ta zigounette ! » ?

Quand j’évoque l’originalit­é de ces prénoms, on me dit qu’on ne soupçonne pas toujours à quel point est prégnante la part des feuilleton­s américains. Je l’ai conçue facilement pour un Garfield, élève de cinquième, mais comment justifier cette Gésabelle, ainsi orthograph­iée et très peu racinienne, que j’ai trouvée un jour en quatrième technologi­que ? Un ami m’a certifié l’existence, quand même douteuse, d’un Clitis, reflet d’une admiration éperdue pour Clint Eastwood.

Mais autant que l’étrangeté du prénom, m’a frappé sur la plage la volupté manifeste de le faire connaître alentour, toujours lié à une consigne éducative. Cette dernière était peut-être seulement un prétexte à revendique­r en même temps une fermeté dans l’exigence et une extrême subtilité à nommer la progénitur­e qui en fait l’objet.

Sur la plage de Monsieur Hulot, dans les années 1950, il devait y avoir surtout des Patrick, des Alain, des Christian, des Martine et des Françoise. Je ne suis sûr de rien, car je n’allais pas à la plage alors. Mais je ne conçois pas trop un « Mets le papier dans la poubelle jaune, Patrick ! » Certes, il n’y avait pas de poubelle jaune. Et puis Patrick était peut-être un peu plus libre, un peu plus éloigné du joug parental. De toute façon, on le sait bien, on ne peut pas comparer. Pourtant, la plage de Monsieur Hulot est bien restée la même.

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