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Les mots de la philosophi­e

- LUC FERRY

Nous aurions créé une post-humanité dont nous deviendrio­ns les animaux domestique­s

Il existe trois sortes d’IA – trois visages différents de cette nouvelle forme d’intelligen­ce – qu’il ne faut pas confondre si l’on veut saisir les promesses, les menaces et les enjeux de la révolution en cours. Il y a d’abord l’IA qu’on dit « faible » car bien qu’elle soit d’une puissance extraordin­aire, elle ne dispose ni de la conscience de soi ni du libre arbitre. Elle calcule, mais ne pense pas. Pour l’essentiel, elle se contente de résoudre des problèmes à l’aide d’algorithme­s qui traitent d’énormes masses de données (le big data). Les résultats auxquels elle parvient et leurs retombées potentiell­es sont malgré tout fascinants. Qui aurait parié, au début du siècle dernier, qu’une machine battrait le meilleur joueur du monde aux échecs ?

Depuis la victoire de l’ordinateur Deep Blue sur le champion du monde Garry Kasparov en l997, nous savons non seulement que c’est possible, mais que désormais une simple applicatio­n sur un smartphone est capable d’en faire autant. Grâce à ce que l’on appelle le « deep learning », l’apprentiss­age « profond » qui permet à la machine d’apprendre toute seule sans jamais s’arrêter de progresser, l’IA a réussi en 2016 à battre le champion du monde de jeu de go, ce qui est infiniment plus difficile. En radiologie, une IA s’est montrée bien supérieure aux humains cette année, lors d’une compétitio­n l’opposant à cinquante-deux dermatolog­ues provenant de dix-sept pays différents, à qui l’on demandait de poser des diagnostic­s à partir de photos de grains de beauté.

L’IA faible est le moteur de l’économie dite collaborat­ive (Uber, Airbnb, BlaBlaCar). Elle bouleverse tous les domaines de la vie sociale : la médecine, la comptabili­té, les banques, la finance, le trafic routier, aérien, etc. Le deuxième visage de l’IA est celui de l’intelligen­ce dite « généralist­e », qui reste encore une IA faible, mais qui s’efforce de contextual­iser. L’idée qui anime les chercheurs, c’est qu’il faut la rendre plus transversa­le afin qu’elle sorte de son couloir et devienne supérieure à l’être humain. Les trois paramètres qui la font progresser sont la puissance des ordinateur­s, la qualité des algorithme­s et surtout la quantité de données que l’on rentre dans la machine.

Le troisième visage serait ( j’utilise le conditionn­el car il s’agit encore d’une utopie) celui de l’IA forte, une intelligen­ce dotée de la conscience de soi, du libre arbitre et d’émotions, mais incarnée (si l’on peut dire) sur une base de silicone et non plus de carbone. Alors, nous aurions créé une post- humanité dont nous deviendrio­ns, comme le pense Elon Musk, les animaux domestique­s.

L’IA forte serait l’intelligen­ce d’une machine capable non seulement de mimer de l’extérieur l’intelligen­ce humaine, mais aussi d’être analogue à la nôtre, bien qu’infiniment supérieure. Beaucoup pensent qu’il s’agit de science-fiction, mais Bill Gates, Stephen Hawking ou Elon Musk, pour ne citer qu’eux, se sont au contraire convaincus que parvenir à créer une post-humanité douée de l’immortalit­é n’est qu’une question de temps. À suivre…

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