RÉTRO-LISEUR
Prédisant l’attribution imminente du prix Nobel de littérature à un écrivain français(à savoir Claude Simon), Pierre Assouline signait un dossier consacré à la plus fameuse des distinctions littéraires. Il s’interrogeait notamment sur les critères de séle
Depuis quatre-vingt-quatre ans que le prix Nobel de littérature est décerné, le mystère subsiste sur la signification du mot- clé du testament d’Alfred Nobel : une partie de sa fortune devait aller « à l’auteur de l’oeuvre littéraire la plus remarquable d’inspiration idéaliste ». Sur le document original pieusement conservé aux archives de la Fondation, il est écrit « idealisk » au lieu d’« idealistisk » comme il se doit en suédois correct. Que s’est-il passé ? La plume du testateur a-t-elle dérapé ? Ou avait-il une autre idée derrière la tête ? Toujours est-il que, depuis des décennies, on discute sous les lambris de l’Académie de la véritable signification de cet énigmatique « idealisk » qui, stricto sensu, ne signifie pas « idéaliste » mais plutôt « idéal ».
[…] À quoi donc pensait Alfred Nobel ?
On sait que cet industriel et chimiste […] était un pacifiste et un idéaliste au sens strict du terme. Son ami l’astronome MittagLeffler a même soutenu qu’il était anarchiste et que « idealisk » était pour lui synonyme d’une attitude très critique vis-à-vis de la société ! Nous voilà bien loin de la componction suédoise !
Comment départager ces interprétations divergentes d’un même mot-clé ? […] « Alfred Nobel avait l’habitude de modifier les mots. Il est bien difficile de dire ce qu’il a voulu signifier, en tout cas nul ne sait ce qu’il avait à l’esprit lorsqu’il a écrit “idealisk” », estime Ture Johannisson (NDLR : professeur de linguistique à l’université de Göteborg). Son collègue Sture Allén précise : « Nobel avait beaucoup voyagé et il lui arrivait de mélanger un peu les différentes langues qu’il pratiquait. Ce qui est sûr, c’est qu’avant d’écrire “idealisk” il avait écrit un autre mot, mais lequel ? […] »
C’est pourquoi le professeur Allén va entreprendre, cet automne, de concert avec la Fondation Nobel, une investigation d’un type particulier. Il va demander une micro- photographie du mot « idealisk » sur le document original (comme on le fait couramment dans la police) pour savoir ce qu’il y avait dessous, et travailler sur le vocabulaire d’Alfred Nobel afin d’écrire un article scientifique qui mettra peut-être le point final à cette énigme.