POCHOTHÈQUE
J «’étais assis tout seul au bar. » Je ne vous raconte pas ma vie, c’est la première phrase du livre excitant de Larry Fondation. Elle est à rapprocher de l’incipit de Demande à la poussière de John Fante – « Un soir je suis assis sur le lit dans ma chambre d’hôtel sur Bunker Hill, en plein centre de Los Angeles. » –, que l’on peut d’ailleurs retrouver, parmi 599 autres, dans l’amusant recueil d’Elsa Delachair consacré à La Première Phrase. La plus maligne (ou la plus téléphonée, c’est selon) ? : « Il n’y a pas de commencement » ( Pseudo, de Romain Gary).
Larry Fondation est médiateur dans les quartiers agités du « Grand Nulle Part » . Il est aussi l’auteur de nouvelles et de romans aux titres évocateurs : Sur les nerfs, Criminels ordinaires et Dans la dèche à Los Angeles. Voici Effets indésirables, sis dans un Los Angeles déjà amplement labouré par la littérature mais qui, grâce au regard que lui porte Fondation, trouve un nouvel éclairage. S’il n’a pas inventé la violence en littérature, il apporte quelque chose de nouveau dans son coup de crayon : des esquisses à la manière de flashs parfois ultra violents, une encre stroboscopique giclant par éclats rougeoyants, fragments de vie et de mort au scalpel aussi neutres et glaçants que possible. Sous les palmiers, la rage.
Belle découverte que ces Années Foch de Jean-Pierre Montal. Pierre, 20 ans, est agrippé à l’avenue comme à une bouée incertaine, à la recherche d’une « énigme » féminine envolée. Dans les années 1990,
l’artère a perdu de son lustre. Peu entretenue, comme si elle devait expier ses splendeurs passées, l’avenue Foch devient, la nuit tombée, le terrain de jeu d’amazones motorisées, de malfrats, de partouzards, aux antipodes de l’atmosphère des salons proustiens.
Les spectres de l’avenue bien réels, tels Gérard de Villiers et ses mocassins Gucci, cohabitent avec d’autres, plus ou moins imaginaires, dans cet entre-deux ambigu que nous aimons en littérature : Remo, le fan de Prince ; Ingrid, la prostituée défenestrée ; Michel Damborre, le publicitaire millionnaire fétichiste de Boni de Castellane dont le palais Rose fut rasé au profit d’une horreur… D’où vient le fait que nous lisons d’une traite ce livre à l’écriture élégante et juste ? Sans doute parce qu’il fait aussi écho à nos propres mélancolies de temps enfuis qui, mystérieusement, semblent à jamais présents en nous, dans une ronde d’éternité addictive.
HHIII La Première Phrase. 599 incipit ou façons d’ouvrir un livre
par Elsa Delachair, 272 p., Points/Le Goût des mots, 6,90 €
HHHII Effets indésirables (Unintended Consequences)
par Larry Fondation, traduit de l’anglais (États-Unis) par Romain Guillou, 216 p., 10/18, 7,10 €. À noter, la parution simultanée en grand format de Les Martyrs et les Saints
aux éditions Tusitala.
HHHII Les Années Foch, suivi de 25 bis rue Jenner par
Jean-Pierre Montal, 212 p., Motifs, 8,90 €. En librairie le 10 octobre.